Afu-Ra – Urban Chemistry

Si pour peu que vous ne connaissiez pas Afu-Ra, son sixième album qu'il a sorti le 28 février dernier chez X-Ray Production est probablement la meilleure porte d'entrée afin de découvrir son univers versatile baigné par le hip-hop et le reggae, tout du moins celui qui le synthétise le mieux.

Car bien qu'il soit étiqueté artiste hip-hop, Afu-Ra n'en est pas moins très influencé par le reggae, aspect que l'on remarquait dès son premier opus, Body Of The Life Force, en 2000, dans lequel il samplait Barrington Levy ou invitait Ky-Mani Marley. En outre, il faisait appel à une ribambelle de membres du Wu-Tang Clan ainsi qu'à DJ Premier, son complice de la Gang Starr Foundation. Avec cette galette qui a fait date dans l'histoire du hip-hop, Afu-Ra posait les bases de son esthétique qui repose sur une alchimie entre les beats hip-hop, le goût du skank et une passion pour les samples orientaux. A ce titre, certains tracks comme le wicked "Mortal Kombat" n'étaient pas sans rappeler le légendaire Enter The Wu-Tang (36 Chambers) de la clique de RZA.

Cette ouverture d'esprit n'avait d'ailleurs pas échappé à Pfel et Greem de C2C qui, quoi qu'étrangers au reggae, nous avaient confié en 2016 : "on kiffait peut-être plus le reggae lorsqu'il y avait des mélanges, avec le hip-hop par exemple, que l'on pense à Afu-Ra ou à Damian Marley avec Nas. C'est cette fusion qui nous touchait, comme ce que l'on peut faire avec C2C". Tout est dit.

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Au fil de sa carrière, Afu-Ra a ainsi multiplié les collaborations avec les artistes reggae ; l'on citera, pêle-mêle, Lyricson, Gentleman ou encore Biga*Ranx. Et c'est donc sur l'ancien label du toaster tourangeau que le New-Yorkais a sorti son dernier opus en début d'année. Urban Chemistry est intéressant à bien des égards puisqu'outre cet attrait pour le reggae, Afu-Ra a invité un ou plusieurs chanteurs sur chacun des titres. Le reggae et le hip-hop sont affaires de partage et de feat. innombrables et ce n'est pas cette galette qui va prouver le contraire.

Cependant, bien que les interprètes sont essentiellement issus du reggae et du hip-hop, voire du r'n'b, le casting n'en est pas moins très large, puisqu'on y retrouve des Américains, des Jamaïcains ou des Français, des jeunes comme des moins jeunes, des hommes comme des femmes. Le panel est ainsi assez représentatif de tout ce qui peut se produire aujourd'hui dans le reggae ou le hip-hop.

On commencera ce tour d'horizon par le track éponyme, une combinaison avec la Marseillaise Keny Arkana et Big Shug, l'acolyte d'Afu-Ra au sein de Gang Starr, à travers une prod qui n'est pas sans rappeler l'heure de gloire des 90's où le hip-hop s'acoquinait parfois  avec des guitares heavy et rock n'roll. Nombreux sont d'ailleurs les morceaux sur cet Urban Chemistry à nous replonger dans le grand bain musical des 90's à base de boom-bap, de scratches, de G-Funk et de samples en tout genre.

C'est ce que l'on avait affirmé via la présentation du premier single de cet album, "Kiss The Pain" (voir ici), en feat. avec Myriam Sow, un double mixte en mode r'n'b qui fera éprouver beaucoup de nostalgie à certains. "Molecular" avec Jah Mason et Rocca a tout, quant à lui, d'une prod à la Dr Dre avec son ambiance funky et on apprécie d'autant plus que Jah Mason puisse évoluer ici dans un registre autre que le reggae (à l'instar de Skarra Mucci qui se pose sur le hip-hop "Money Change"). Son partenaire Rocca que l'on connaît également pour ses expérimentations sonores avait déjà travaillé avec un certain Lyricson (sur "Retour à la Source" en 2015), Lyricson que l'on retrouve aussi sur cet Urban Chemistry dans "Rise Up" aux influences boom-bap et r'n'b. Dans le même ton, le très réussi "Veni Vidi Vici", en feat. avec Gavlyn, démontre que le hip-hop, s'est en grande partie construit, outre le reggae, à grands renforts de soul.

Et puisque l'on parle de beat 90's, on apprécie ce flashback presqu'émouvant qu'est ce big tune, "Lyrics Fly", avec Lord Kossity, autant à l'aise sur du dancehall que sur du hip-hop, dans une splendide prod mêlant boom-bap, violons et samples orientaux à la Wu-Tang Clan. Charly B, autre artiste issu du reggae/dancehall, nous fait prendre conscience que reggae et hip-hop savent faire front commun dès lors que le beat fait mouche, ce qui est le cas sur "Me & My Sensi", reflet d'une époque où NTM s'associait avec Raggasonic, IAM avec Nuttea ou Damian Marley avec Nas.

Le mélange des genres, tel est le mantra de cet Urban Chemistry et il s'agit sûrement de l'album le plus éclectique d'Afu-Ra. Pas forcément le mieux produit, mais le plus divers, ça c'est certain. Même les tracks qui pourraient sembler les plus classiques, les plus boom-bap, sont teintées d'éléments plus actuels ; il en va ainsi sur "Unstop" avec Starrlight ou encore "Be Strong" avec Dave Dario qui, malgré des apparences old school, contiennent des beats saccadés façon dubstep et trap quand "Body's Jumping" prend clairement ce parti à base de bass music. Dans cet esprit, "Reign On Me", en feat. avec Mann, subit un intéressant crescendo avec ses basses abyssales. Quant à LMK, elle nous aura démontré une fois de plus que rien ne lui fait peur puisqu'elle opère une belle "Therapy" en mode trap. "Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse".

Mais on insistera notamment sur "War Chemicals" avec  Stranjah Miller qui, à la manière de ses compatriotes Jah Mason et Skarra Mucci, s'éloigne de sa zone de confort pour se poser sur du trap, malgré quelques incartades jamaïcaines via un skank. Sizzla lui aussi se débrouille assez bien sur un rythme dancehall/trap avec "Firetricity", bien que l'on préférât les riddims plus vibrants et empreints d'une franche vitalité sur son I'm Yours (la grosse chronique ici) paru en 2017, dans ce qui reste incontestablement comme son album le plus abouti ces dernières années. Dans la même veine, on aura cependant plutôt apprécié l'énorme "Take Me Along" dans lequel Taïro s'adresse, une fois n'est pas coutume, à la ganja, et non plus à une femme (quoique, vous pouvez interpréter les paroles comme bon vous semble).

Et finalement, le seul track qui puisse ici être estampillé strickly reggae reste "Lion Science" avec Sr Wilson dans une ambiance digne des meilleurs titres reggae de L'Entourloop et dans la lignée d'un certain "Independent Music" de Chinese Man. Afu-Ra l'a d'autant plus démontré qu'il était indépendant musicalement parlant via cet Urban Chemistry, eu égard à ce large éventail de styles.

TRACKLIST

1. Unstop (feat. Starrlight)
2. Kiss the Pain (feat. Myriam Sow)
3. Urban Chemistry (feat. Keny Arkana & Big Shug)
4. Reign On Me (feat. Mann)
5. Veni Vedi Vici (feat. Gavlyn)
6. War Chemicals (feat. Stranjah Miller)
7. Body’s Jumping (feat. Celia Kameni)
8. Take Me Along (feat. Taïro)
9. Therapy (feat. LMK)
10. Be Strong (feat. Dave Dario)
11. Lyrics Fly (feat. Lord Kossity)
12. Molecular (feat. Jah Mason & Rocca)
13. Lion Science (feat. Sr Wilson)
14. Money Change (feat. Skarra Mucci)
15. Firetricity (feat. Sizzla)
16. Rise Up (feat. Lyricson)
17. Me & My Sensi (feat. Charly B)
18. I Try (feat. Q)

Artiste : Afu-Ra
Album : Urban Chemistry
Label : X-Ray Production
Date de sortie : 28/02/2020

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NOTE DE L'AUTEUR : 6 / 10



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