Guitare En Scène 2023 – samedi : thé à la licorne violette

À Guitare en Scène les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Alors que la première journée nous avait fait voyager entre horizons soul et blues, entre guitar heroes et smooth jazz, on ne peut pas en dire autant du vendredi, qui nous a bien laissé sur notre faim. Un motif semble à nouveau se répéter, où notre concert préféré est systématiquement le dernier de la journée, sur la Scène Village. Se vérifiera-t-il en cette troisième journée, alors que des poids lourds sont attendus sous la tente ? Peut-être, la réponse réside dans les prochains pavés.

Damantra - Scène Village

On était impatient de découvrir le quatuor toulousain Damantra sur la petite scène. Le concert s'effectue sous un soleil de plomb, dont se plaint à plusieurs reprises Mélanie, et les corps sont vite perlés de sueur. Néanmoins, Damantra est là pour jouer, alors le groupe attaque avec "Keep On". Avec son ambiance fuzz, ses guitares et sa lourde nappe de synthé, l'intro donne la couleur : on avait quitté le festival aux sons du hard rock psyché de Dätcha Mandala la veille, et on est peut-être bien partis pour reprendre notre pied !

Le quatuor se compose de Mélanie au chant, Virgile à la guitare, Rémi à la batterie et Robin à la basse, et bien plus. Ce dernier troque régulièrement sa quatre cordes contre un Moog en fonction des titres, pour un rendu plus synthétique. Il s'arme également d'un thérémine, dont Mélanie s'empare de temps en temps, notamment sur "Sacrificed" pour sortir plein d'effets. On sent que le groupe a de l'énergie à revendre, et son rock stoner aux évidents accents psychédéliques a tout pour embarquer le public, nettement plus nombreux en ce samedi que les jours précédents, comme à chaque édition du festival. Et qui répond bien aux morceaux joués par Damantra, même si la chaleur n'aide pas les corps à se mouvoir.

Au niveau vocal, on n'est pas dans un registre rocailleux. Mélanie a une voix plutôt légère dans les aigus sans être dénuée de coffre dans les graves. Plutôt versatile on dira, et accompagnée avec vigueur par Virgile et Robin aux chœurs, donnant un côté entraînant à beaucoup des morceaux joués. À l'instar des parties vocales, les compositions se révèlent bien variées. Tantôt douces et mélancoliques, dans des passages softs où presque aucune guitare ne vient perturber la ligne de chant, elles savent aussi dégager beaucoup d'intensité lorsque tout s'emballe, dans un pur esprit rock. Ou lorsque les thématiques abordent des sujets difficiles, on pense au morceau que Mélanie introduit sur les victimes, passées ou actuelles, de violences conjugales !

Tous sur scène restent énergiques jusqu'à la fin du set. Mélanie monte même sur la crash barrière pour prendre un peu de bain de foule avant le final sur "Comet", issu comme le titre d'ouverture du dernier EP en date, Comet sorti cette année. À la fin du concert, une chose est sûre, on a envie de voir ce que Damantra nous réserve pour le futur. Alors que résonne le compte à rebours annonçant le clip de l'hymne "At Guitare En Scène" signé Arthur Dart, diffusé quotidiennement pendant la flashmob, nous fuyons vers la scène Couverte pour retrouver le rhythm 'n' blues entraînant des Vintage Trouble.

Vintage Trouble - Scène Couverte

La foule est déjà présente en masse pour célébrer l'arrivée du combo américain. Guitare électrique au bottleneck et rythme binaire dansant grosse-caisse/hi-hat pour attaquer, on a devant nous une sorte de version deluxe de One Rusty Band, qui aurait troqué les claquettes pour un prêcheur de rhythm'n'blues à la grande souplesse physique ! On reviendra sur One Rusty Band dans le live report du dimanche, groupe qui se produit tous les jours entre les concerts, soyez présents, mais pour l'heure la place est à la bande de Ty Taylor. L'ouverture du concert se fait sur le classique "Run Like A River", sans surprise un très bon choix pour dynamiser le public, et les membres du groupe.

Notre souvenir de Vintage Trouble est celui d'une formation qui assurait un certain niveau de jeu de scène, au moins en ce qui concerne son leader. Si les musiciens nous paraissent moins en forme aujourd'hui qu'ils aient pu l'être par le passé - on ne va pas se mentir, l'âge, tout ça tout ça -, il ne faut pas attendre bien longtemps pour que Ty réussisse des figures acrobatiques sur scène, grimpe sur le crash barrière et harangue la foule avec les mains d'une marée humaine à ses pieds. Il va jusqu'à se faire porter par la foule lors d'un départ en slam, plus loin dans le set. Habillé de son long habit blanc qui lui donnerait presque des airs de pasteur, Ty fait le show et contraste bien avec les autres membres de la formation, plus sages sur scène. Même si, on le reconnaît, le chapeau à bord plat de Nalle Colt qui lui donne des petits airs de Stevie Ray Vaughan attire régulièrement nos regards.

Malgré l'impression de perte de vitesse mentionnée plus haut, le groupe reste au rendez-vous scéniquement. En revanche, on reste mitigé pour ce qui est de l'interprétation, principalement en raison d'un gros défaut : le son, et en particulier le son de la basse de Rick Barrio Dill . C'est simple, soit on ne l'entend pas, soit elle grésille. En tout cas sous la tente, car le son diffusé sur la scène Village, repiqué et mixé depuis la console, est lui meilleur et plus équilibré. C'est dommage, car Vintage Trouble a concocté une setlist n'oubliant pas de mettre en valeur les compositions récentes, et en plus de faire le show, Ty est aussi prolixe quand il s'agit de dénoncer les injustices et atrocités qui se déroulent sous nos yeux. En prennent pour leur grade les prédicateurs de haine, minorités bruyantes sur les réseaux sociaux ("Holla !") ainsi que les racistes de tous poils et ceux qui, niant l'existence d'un racisme endémique, refusent de voir le problème en face et les laisse exister ("Repeating History"). Ty fait évidemment référence à George Floyd, et enchaîne en disant que c'est un problème très américain que l'on ne connaît pas en Europe. Hélas, notre ami a une image idéalisée de la situation, et s'il est vrai que les problématiques de racisme sont particulièrement cimentées au pays de l'oncle Sam, ces problèmes existent aussi de l'autre côté de l'Atlantique.

Concert en demi-teinte au final. On apprécie de revoir le groupe, on tape du pied et on regarde Ty faire le spectacle. Pour une fois, l'artiste reste sur site, il sera reconnu en train d'apprécier Sting et surtout de s'amuser comme un fou devant Nik West. C'est ça aussi Guitare en Scène.

Sting - Scène Couverte

Sting, c'est quand même sacrément de la triche. Le mec est une usine à tubes, tant dans ses années avec The Police qu'en solo, et il suffit qu'il lance un morceau pour convaincre un auditoire déjà acquis. Puisqu'en plus il a toute sa voix, et que les réarrangements qu'il a opérés sur certains titres pour s'économiser rendent les morceaux encore meilleurs, le travail est déjà fait, plus que le minimum à fournir.

Oui, mais un minimum calibré ! Pas fou le Britannique, avec plus de 45 ans dans les pattes, il sait chorégraphier le set idéal, ce dernier s'organisant en un enchaînement de titres sans trop d'interventions, quelques remerciements ou présentations de vigueur. Jouant moins sur la sympathie qui fait sa réputation que sur la force de ses morceaux, Sting s'appuie sur son répertoire, et s'offre tout le devant de scène qu'il parcourt en marchant tranquillement, micro porté, comme s'il était seul sur les planches. Lorsque ses musiciens s'avancent pour un solo d'harmonica ou de guitare, c'est en restant quand même en retrait, même si les écrans pourraient donner l'illusion qu'ils sont au plus proche du public. Mais après quelques titres, Sting se rappelle que singer Joe Bonamassa n'est pas une brillante idée, et se met à considérer ses comparses scéniques. Toujours dans cette idée de show calibré, quelques interactions se créent, une blague sur Stevie Wonder, un des choristes qui s'offre un duo à la Craig David sur "Shape Of My Heart", le concert prend un peu plus de corps, sans jamais devenir organique. On sent que tout est préparé, et qu'il s'agit plus d'une démonstration professionnelle répétée soir après soir qu'un moment de plaisir où une certaine liberté musicale pourrait avoir lieu. D'aucuns diraient "Mate le DVD" (expression de vieux, on sait), on n'ira pas sur ce terrain, puisque comme on le disait, Sting n'a besoin que de s'appuyer sur son répertoire pour offrir un moment d'exception.

Et quel répertoire, les amis ! Démarré en trombe sur "Message in a Bottle" - sept morceaux sur les vingt présentés sont issus de la période The Police - on est tout de suite pris par le riff de guitare intemporel, la basse qui nappe solidement le morceau, ça prend sans effort. Dès "Englishman In New York", en seconde place, le tempo se ralentit. Le concert se veut très "smooth", jouant de ses teintes reggae/variété, ce qui appuie l'aspect world music de certains titres, "Desert Rose" par exemple. Le nom de la tournée, My Songs, joue sur la dualité entre les morceaux que Sting choisit d'appeler siens - notion discutable sur le catalogue de The Police, Stewart Copeland ne nous contredirait pas - et sur l'envie de les interpréter tel qu'il le souhaite. Au milieu du set, trois titres de The Bridge, interprétés à la suite, viennent présenter les compositions les plus récentes, mais ce n'est clairement pas ce qui est mis en avant ce soir.

L'aisance de Sting n'est plus à prouver, et rapidement, des "Il chante toujours aussi bien" se font entendre dans la foule. On ne saurait contredire cette constatation tant l'interprétation, certes calibrée et ne laissant pas de place à la moindre touche d'improvisation, s'avère exceptionnelle. À 71 printemps, l'artiste n'a rien perdu de sa superbe, et si à La Grosse Radio, on préfère les prestations plus électriques, où tout peut partir en vrille d'une minute à l'autre, on ne peut cacher notre engouement, et la joie de partager avec l'audience ses titres cultes.

Nik West - Scène Village

Devant la Scène Village, l'heure est au calme. La public n'a pas encore quitté le chapiteau, et on voit Francis Zegut errer, seul, en attente de sa présentation. "T'as vu la tenue qu'elle a ? Ça va être génial ce truc !" nous lance-t-il pour préparer la tempête. De notre côté, les attentes sont élevées. La découverte de Nik West, lors de notre préparation du podcast dédié à cette journée, a déjà été l'occasion de partir à la rencontre d'une artiste singulière, apparaissant sous les traits d'une licorne violette. Quand on est adoubée par le pape George Clinton lui-même, et qu'on est le fruit d'une copulation entre Prince, Bootsy Collins et Nina Hagen, on ne peut qu'être une curiosité à bien des égards. Lorsque quelques minutes plus tard, tout le parterre devant la scène est blindé pour l'accueillir, c'est un déluge de funk bigarré et coloré qui se déploie.

On avait prédit que le concert de Nik West serait probablement le meilleur de tout le festival, mais on n'était pas prêt à ce qu'il le soit à ce point. Dans une tenue bicolore avec des peluches au niveau des points de censure génitaux, Nik West débarque, acclamée par son groupe, et commence à slapper sur sa quatre cordes. Cette basse malmenée, objet tant instrumental que sexuel pour la musicienne, avec laquelle elle feint les meilleures allusions et approvisionne les blagues de ses discours, est la seconde maîtresse de soirée. Il est d'ailleurs amusant de constater comment en l'espace de trois titres, elle passe de Nik West à Madame Nik, puis à Queen West. Ce n'est pas Ty Taylor, que l'on a déjà aperçu en train de regarder d'un œil le concert de Sting, qui dira le contraire, puisque le chanteur de Vintage Trouble s'invite dans le pit photo, y dansera tout le concert, le regard émerveillé, et appellera ses proches en FaceTime pour leur faire vivre le moment avec lui. Une fois que le public est plus qu'acquis au pouvoir de la funk - en deux titres, donc -, Queen West quitte les planches quelques temps pour laisser la place à son groupe. Si ça, c'est pas une reine.

Ce faux interlude, puisque le groupe se donne comme jamais, est l'occasion pour les deux distraits du fond de réaliser qu'en ce samedi soir, nous assistons non seulement au meilleur concert du festival, mais que nous y voyons aussi les meilleurs musiciens. Qui d'autre que les plus virtuoses d'entre eux peuvent autant faire groover du funk ? On s'extasie notamment devant le batteur, qui n'est jamais dans une attitude démonstrative, et semble bien tranquille face à la technicité imparable qu'il nous balance. Ghost notes, rythmiques aux métriques variables, le gus s'inscrit dans une pure tradition d'un jazz révolté. On voit d'autant plus l'osmose entre les membres, qui se regardent en constance, s'interpellent en riant dès que l'un d'eux les fait vibrer, tout est une constante éruption d'émotions. Le retour de Nik West nous la rend encore plus folle, devant maintenant composer avec des musiciens plus chauds que jamais. Elle se contorsionne autour de son guitariste, qui enchaîne les poses improbables pour la faire tomber, et c'est un bal de corps qui s'offre à nous, sans jamais qu'une note ne soit à côté. C'est l'occasion de jouer "Kiss" de Prince, et de rappeler sa filiation. Explosif, le morceau connu de l'auditoire fait mouche.
Après avoir constaté la générosité envers le public mais aussi envers les musiciens, nous avons affaire à une autre forme de cette même dévotion, lorsque Patrick monte sur scène. Tu ne sais pas qui c'est ?! Pendant le confinement, Queen West a lancé des cours de basse en ligne, et a dit à ses élèves que si elle passait en concert dans leur coin, ils monteraient sur scène avec elle, qu'ils savent jouer dudit instrument ou pas. Un pur produit savoyard, le Patrick, qui tout timide se débrouillera très bien à la quatre cordes. Ensemble, ils entament un hommage à Tina Turner avec la cultissime "Proud Mary", qui ne manquera pas d'emporter tout le monde, sur scène, devant ou au bar du fond, dans une danse infinie. La spontanéité est toujours de la partie, celle que l'on promeut depuis le début du festival, et nous avons des relents d'Eric Gales deux jours plus tôt, qui lui aussi était dans cette idée de partage, de don de soi et d'une envie de jouer de la musique avant de défendre un répertoire. Deux sets différents, mais qui ont un but commun : venir affronter les têtes d'affiches, et leur rappeler que la musique se joue avec le cœur, et pour le frisson.

La Scène Village à minuit, lieu de toutes les folies. Slogan moche, rime pauvre, mais vérité indéniable. Eric Gales peut partager sa couronne avec Dätcha Mandala et Nik West, ils ont plié le game, et leurs prestations, plus ordurières, plus punk n'roll, étaient surtout les plus vivantes. On peut repartir les oreilles tranquilles, le rock n'est pas mort. Allez, à l'année pro.....ah non, il reste demain.

Photos : Caroline Moureaux/Luc Naville/Alexandre Coesnon
Toute reproduction interdite sans l'autorisation du photographe

Textes : Sting + Nik West : Thierry de Pinsun

Intro + Damantra + Vintage Trouble : Félix Darricau

close

Ne perdez pas un instant

Soyez le premier à être au courant des actus de La Grosse Radio

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.



Partagez cet article sur vos réseaux sociaux :

Ces articles en relation peuvent aussi vous intéresser...

Ces artistes en relation peuvent aussi vous intéresser...