cinéma : I’M NOT THERE de Todd Haynes, portraits de BOB DYLAN

     Curieux de voir ce que le réalisateur Todd Haynes allait faire de Bob Dylan. Remarquez que ça promettait d’être intéressant : le portrait d’un artiste aussi mystérieux par un réalisateur au style aussi particulier (mais fan de rock, VELVET GOLDMINE c’est de lui, qui évoquait sans les nommer explicitement les vies de David BOWIE et Iggy POP), ça ne pouvait donner qu’un film non-conventionnel, et on n’est pas déçus par le grand prix du jury de la dernière mostra de Venise.
     Sans vouloir cracher dans la soupe, le problème avec les biopics c’est que des résumés de vie d’artiste, ça se ressemble : une enfance souvent pauvre remplie de rêves de grandeur, des débuts difficiles, la sauce prend, histoires sentimentales périlleuses (et au milieu une histoire qui compte vraiment) et vies bordéliques, puis succès à gogo, relations diverses au statut d’idole, drogues, happy-end… ou pas. Les réalisateurs préfèrent s'effacer par respect pour l'artiste. Pour le coup, Todd Haynes envoie valdinguer les conventions et, plus qu’une biographie, nous livre en une galerie de portraits sa vision du chanteur.

     Le parti-pris est étonnant, puisque ce sont pas moins de six acteurs différents qui prêtent leurs traits, soit directement à Dylan, soit à des personnalités imaginaires, des existences que le musicien aurait probablement souhaité vivre. Concrètement, le tout n’est donc pas très cohérent, mais en se laissant porter, le voyage nous fait vraiment prendre conscience de toute l’épaisseur du personnage, sans jamais s’attarder sur le côté glorieux des choses (pas d'enchaînement de plans le montrant faire la tournée des stades), aspect qui a toujours mis Dylan mal à l’aise.
     Les portraits entrecroisés, présentés de façon plus ou moins délirante et fantasmagorique, se mêlent dans un ordre étrange, le but n’étant pas de nous raconter la vie et l’œuvre de Bob Dylan, mais tout simplement Bob Dylan lui-même. Niveau imaginaire, un jeune garçon noir surdoué de la musique qui chante le blues en vagabondant, un Billy the kid vieillissant. Niveau plus réel, un acteur qui a des problèmes de couple (le divorce du chanteur date à peu près du même moment que celui où il lance sa carrière d’acteur qui le fera notamment interpréter… Billy the kid), un jeune poète arrêté par la police qui prétend s’appeler Arthur Rimbaud (véridique) et qui tient le rôle du narrateur. Niveau très concret, deux chanteurs, l’un mal à l’aise avec son statut de star grandissant qui trouvera la rédemption dans la religion (Dylan a trouvé la lumière en 1978 à l’issue d’une tournée exténuante et a sorti plusieurs albums religieux, avant de se calmer), et une rock-star décadente prise dans ses contradictions. Tous ces portraits étant entrecroisés sans ordre particulièrement logique en apparence.

     Chaque acteur a été libre d’interpréter le chanteur de la façon dont il le souhaitait, et si on retrouve des similitudes, chacun s’amuse à se conformer à l’ambiance des scènes dans lesquelles il apparaît. Mention spéciale à Ben Wishaw en Rimbaud, à Christian Bale, impeccable en chanteur tourmenté, et surtout à Cate Blanchett, absolument incroyable en rockstar décadente et paradoxale. Alors, c’est parfois un peu long car pas toujours bien rythmé, le parti-pris est vraiment spécial, mais au fond, lors de certains moments (Wishaw qui expose « les 7 règles pour vivre clandestinement, Bale qui se cache derrière sa guitare face à un présentateur télé qui l’interviewe, Blanchett qui perd son sang-froid face à un journaliste perspicace) et quand les lumières se rallument, on se dit que ce film étrange nous en a plus appris sur cet artiste fondamental pour la musique populaire que n’importe quel biopic n’aurait pu le faire. C’était le but, non ?

              

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