Roine Stolt (The Flower Kings) nous parle de By Royal Decree

Musicalement, on savait Roine Stolt très prolixe et capable de longs discours musicaux, lui qui écrit régulièrement des pièces progressives de plus d'une demi-heure avec les Flower Kings et Transatlantic. Nous avons également pu constater que le guitariste est également très loquace lorsqu'il s'agit de parler de ses oeuvres, puisque le Roi des Fleurs nous a accordé une interview de près d'une heure pour aborder By Royal Decree, son nouvel opus. Entretien avec un vrai passionné autour du prog, du metal, et de son amour de la musique tout simplement.

Bonjour Roine et merci de nous accorder cet entretien. Après Island, paru l'an passé, By Royal Decree est donc le second album des Flower Kings qui sort dans ce contexte de pandémie. Cela a-t-il influencé ton écriture ?

Pour être honnête, pas vraiment. Je sais que cela paraît bizarre, mais pour moi, la vie en période de pandémie est relativement normale. J'ai pu discuter avec beaucoup d'amis musiciens autour de moi, et il est vrai qu'ils paraissent dans l'ensemble très touchés par cette situation, par l'impossibilité de donner des concerts ou de répéter convenablement. En ce qui me concerne, je continue de vivre normalement. Je passe donc beaucoup de temps dans mon studio, à composer, enregistrer ou encore mixer des morceaux. Cela ne me change pas beaucoup par rapport à mon train de vie habituel (rires).

Cela te donne presque l'opportunité d'écrire des morceaux sans aucune pression...

Pas nécessairement. Pour moi, faire cet album, c'était presque comme travailler dans des conditions normales. Nous avons eu la possibilité de travailler en studio tous ensemble, d'écouter le matériel que j'avais produit pour les démos. Après, il est vrai que nous avons tous dû rentrer chez nous et continuer à travailler à distance, notamment sur la réécriture de certaines paroles, l'ajout de pistes de piano ou de chant. Mais ce fonctionnement est de toute façon celui que l'on met en œuvre à chaque album, même en dehors d'une période de pandémie.

Sachant que certains membres des Flower Kings résident ailleurs qu'en Suède, notamment en Italie, cet éloignement géographique ne semble donc pas te déranger ?

Lorsque j'ai commencé à travailler sur Transatlantic il y a plus de vingt ans, nous avons déjà dû nous habituer à bosser à distance puisque deux membres du groupe, Neal Morse et Mike Portnoy, résidaient aux Etats-Unis, tandis que Pete Trewavas vivait en Angleterre et moi en Suède. Par la suite, ce mode de fonctionnement a de nouveau été sollicité lorsque j'ai enregistré un album avec Jon Anderson (ex-vocaliste de Yes), qui vit en Californie. Et Steve Hackett (ex-Genesis) avec qui j'ai travaillé pour préparer une tournée, réside lui aussi en Angleterre. Et c'est encore une fois la même chose avec The Sea Within, puisque Marco Minneman habite en Californie, Tom Brislin sur la côte est des Etats-Unis. Pour moi, travailler avec des musiciens qui résident dans d'autres parties du monde, c'est quelque chose de normal, j'y suis habitué depuis 20 ans ! (rires) C'est même l'inverse, il est désormais plus rare pour moi de mener un projet avec quelqu'un qui vit à côté, à l'exception de Hasse Fröberg, le chanteur des Flower Kings, dont la maison est située à quinze minutes de chez moi ! Maintenant que Michael [Stolt, frère de Roine et de nouveau bassiste des FK après plusieurs années loin du groupe NDLR] est de nouveau là, cela fait un autre membre qui est à moins de dix minutes d'ici.

"Pour moi, travailler avec des musiciens qui résident dans d'autres parties du monde, c'est quelque chose de normal"

Hasse Fröberg, ton partenaire de longue date au sein des Flower Kings, est une fois de plus présent sur cet album et partage le chant et la guitare à tes côtés. Comment vous répartissez-vous les rôles et les lignes de chant ? As-tu déjà en tête sa voix ou la tienne dès le processus de composition ?

Non, pas vraiment. Mais généralement, lorsque l'on chante, il s'occupe des parties les plus aigües car je suis plus à l'aise avec le registre grave. Il peut chanter des lignes avec une réelle facilité, là où je lutte pour arriver à un tel résultat. Mais c'est un procédé normal, qui fonctionne depuis de nombreuses années et que nous avons mis en place il y a dix ou quinze ans. Aujourd'hui, je lui demande souvent « qu'est-ce que tu as envie de chanter ? ». Il vient régulièrement dans mon studio et nous prenons chacun des notes, sur la façon dont nous voyons les choses. Il me dit souvent en toute honnêteté ce qu'il préfère chanter, sur quelle chanson il se sent le plus à l'aise. Parfois, nous nous suggérons mutuellement des choses, puis nous tentons tout simplement. De toute façon, si cela ne fonctionne pas, il est toujours temps de tester quelque chose de différent par la suite. Il est clair que parfois, dès les démos, il y a des parties où j'ai le sentiment que ça doit être chanté par moi, car cela colle plus à mon style. Les choses se font de façon très naturelle et il n'y a jamais de dispute entre nous pour le partage des rôles.

Peut-être parce que vous vous connaissez depuis près de trente ans.

Oui, mais il s'agit aussi de connaître sa propre voix et ses propres capacités. Durant toutes ces années, nous avons appris à reconnaître quelle empreinte vocale colle mieux à quelle partie. Sur les passages plus directs, je pense que c'est mon timbre qui est le plus adéquat. C'est la même chose pour les batteurs. Au sein des Flower Kings, j'ai joué avec six ou sept batteurs. Chacun d'entre eux avait quelque chose de très spécifique, qu'il était capable de faire à la perfection. J'essaye toujours de trouver ce qui leur permet d'être le plus à l'aise et de mettre en avant le meilleur d'eux-mêmes. C'est quelque chose que l'on acquiert tout au long d'une carrière en travaillant avec différents artistes.

Et pour les parties de guitare, il en est de même j'imagine, puisque Hasse et toi vous complétez totalement dans l'approche de la six-cordes.

Oui. Mais je crois que sur cet album, Hasse n'a pas joué de guitare électrique. Il est resté essentiellement à la guitare acoustique. Parfois c'est l'inverse, surtout sur les morceaux qu'il compose lui-même. Par contre, en live, il est capable d'alterner également avec des passages aux percussions. Les choses sont toujours très naturelles. Il est vrai qu'au fil des années, j'ai travaillé très dur pour développer mon son de guitare, en m'intéressant aux différents amplificateurs, aux modèles de guitare etc...Pour moi, c'est normal de m'occuper des parties électriques. Et puis, j'ai également beaucoup de temps pour cela, car je vis de la musique ! (rires) Je peux passer la journée entière dans mon studio, pour trouver le son parfait ! Hasse n'a pas ce temps, car il a un travail à côté de sa vie de musicien, et il ne peut donc pas consacrer autant de temps que moi aux enregistrements.

Il est vrai que tu as ton propre son de guitare, très reconnaissable et vintage. Quelle guitare as-tu utilisée cette fois-ci ? Je sais que tu joues beaucoup sur Telecaster notamment.

Oui, j'ai utilisé la Telecaster, la rouge. Celle-ci, je l'ai achetée dans un magasin à Stockholm. J'allais là-bas pour un modèle Gibson, que je n'ai finalement pas pris. J'avais vu cette Telecaster, qui m'intéressait, mais je suis sorti du magasin sans rien acheter (rires). J'ai fait quelques mètres dans la rue, puis j'ai fait demi-tour et je suis retourné me procurer cette Telecaster ! (rires) Je ne sais pas pourquoi je l'ai achetée sur le moment, mais je l'adore, et elle est devenue ma guitare numéro un depuis. Je l'ai un peu modifiée, en changeant les micros par exemple, pour la rendre plus personnelle. Et je l'utilise beaucoup en concerts. C'est pour cette raison probablement, que je m'en suis beaucoup servi sur cet album aussi. J'ai utilisé aussi une vieille Gibson Les Paul de 1953, et ma Gibson ES-335...

Pendant longtemps, tu as été associé à une guitare Parker, mais je crois que tu ne joues plus beaucoup dessus non ?

J'ai encore cette Parker, que j'ai effectivement beaucoup utilisée. Elle a un super système de vibrato, du coup, je peux jouer avec pour des parties solo. Ce sont toutes les guitares avec lesquelles j'ai travaillé sur cet album. Mais celle que j'utilise le plus, ça reste la Telecaster car je répète en ce moment pour les futures dates avec Transatlantic et c'est celle-ci que je prendrai. Ce n'est pas un instrument qui a une grosse cote et une grande valeur, mais elle a beaucoup de dynamiques et de personnalité.

"Par le passé, nous avons écrit des titres longs que nous aurions pu raccourcir un peu et couper, avec le recul" (Roine Stolt)

Comme ses prédécesseurs depuis Desolation Rose, ce nouvel album ne contient pas de titre épique de 20 minutes ou plus. Tu étais pourtant coutumier du fait avant. En as-tu assez d'écrire ce genre de pièce, ou bien les réserves-tu principalement à Transatlantic ?

Non, je ne suis pas spécialement lassé de cet exercice. J'aime bien les titres longs. Il y a des titres longs que j'adore parmi ceux que l'on a pu faire, comme Stardust We Are ou The Truth Will Set You Free, que l'on aime encore jouer sur scène. Mais nous avons également écrit des titres longs que nous aurions pu raccourcir un peu et couper, avec le recul. Je pense que c'est la même chose aussi pour Transatlantic. Nous avons parfois inutilement rallongé des titres qui auraient pu être coupés. Au lieu d'un titre lambda de trente minutes, nous aurions dû en faire un génial de vingts minutes.

By Royal Decree marque le retour de ton frère Michael à la basse. Pourtant, Jonas Reingold qui l'a remplacé à partir de 1999 est également présent. Comment allez-vous vous organiser pour les prochaines dates ? J'ai notamment vu que pour les premiers shows annoncés, seul Michael sera présent...

Oui. Dès que nous avons débuté la phase d'enregistrement, il était clair pour nous que Jonas ne pourrait pas continuer à jouer avec le groupe en raison de ses engagements auprès de Steve Hackett. Et comme la pandémie a repoussé beaucoup de concerts, il était impossible pour Jonas de tourner à la fois avec nous et avec Steve, une fois les choses revenues à la normale. Nous ne voulions pas sortir d'album et attendre que Steve s'arrête de tourner pour enfin pouvoir les défendre sur scène (rires). J'ai surtout essayé de faire un passage de flambeau progressif entre Jonas et Michael. Je ne voulais pas éjecter Jonas du groupe pour autant, et c'est la raison pour laquelle les deux se sont partagés les titres sur l'album. C'est également lié au fait que pour nos prochains shows, nous souhaitions nous concentrer sur les compositions les plus anciennes, sur lesquelles Michael jouait en studio. Nous avons pris cette décision car Inside Out nous a proposé de rééditer nos premiers albums, à commencer par Back In The World of Adventures, Retropolis, Stardust We Are et Flower Power. Cette année, il y aura donc beaucoup de sorties concernant les Flower Kings ! (rires) Cela nous paraissait donc très naturel de présenter à nouveau ces compositions aux nouveaux fans qui ne les ont pas découverts auparavant. Nous pensons donc jouer à nouveau des titres comme  « Big Puzzle », « I Am The Sun » « Stardust We Are ». Les choses vont se faire naturellement avec Michael et nous allons faire le lien entre notre passé et nos nouveaux morceaux.

A cette occasion, penses-tu également incorporer des titres de ton premier album solo, The Flower King sorti en 1994 et qui est à l'origine du groupe ?

Nous en avons parlé. Mais vu que la setlist ne cessait de grossir, en fonction des envies de chacun, nous avons dû faire des choix. Il est impossible de tout jouer et nous ne pouvons pas dépasser un set de deux heures. Certains choix de setlist seront probablement amenés à évoluer et nous ferons quelques ajustements au cours de la tournée. Mais les titres de The Flower King seront laissés de côté. Peut-être que nous en rejouerons encore plus tard ? Mais pour cette tournée, les quatre premiers albums seront mis à l'honneur.

C'est déjà un gros programme. J'ai calculé que si l'on écoutait d'une traite les albums des Flower Kings, en omettant The Flower King et Manifesto of an Alchemist qui sont sortis sous ton nom, cela prendrait vingt-quatre heures. Tu as donc composé et enregistré 24 heures de musique en moins de trente ans. Comment trouves-tu cette inspiration débordante ?

Je ne peux pas vraiment répondre, car je n'y ai jamais pensé. Cela vient probablement du fait que j'ai la chance de faire ce métier et d'en vivre. Du coup, je peux jouer de la guitare tous les jours, composer, enregistrer...C'est une manière de vivre. Je ne pourrais pas m'imaginer faire autrement. Je me sens particulièrement chanceux d'avoir cette opportunité. J'ai également de la chance que l'inspiration vienne relativement naturellement. Je n'y pense pas trop à vrai dire...

"On ne cherche pas à sonner prog, sonner metal, sonner compliqué. On veut juste faire des chansons que l'on aime jouer et on espère que notre public les aime également." (Roine Stolt)

Avec une telle façon de procéder, j'imagine que tes placards sont remplis de démos et de chansons jamais sorties... Entre 2000 et 2005, vous avez par ailleurs sorti beaucoup de matériel inédit à travers votre fan club. Penses-tu réitérer l'expérience ?

Je ne sais pas. Cela est avant tout une question d'organisation et dépend du temps que j'ai ! (rires) D'ailleurs en ce moment, je passe beaucoup de temps à travailler sur les rééditions des premiers albums, que j'ai évoquées tout à l'heure. Je réalise un nouveau mixage notamment et cela me prend beaucoup de temps. Il ne me reste que deux semaines pour terminer le nouveau mix de Back in the World et Retropolis, puis je devrais m'atteler à ceux de Stardust We Are et Flower Power. Après cela, il y aura les premiers concerts que nous donnerons avec les Flower Kings puis la tournée avec Transatlantic, la Cruise to the Edge...

Tu parles de remix pour ces premiers albums. Il y a quelques années, lorsqu'Inside Out a édité une box de vos sept premiers opus, tu avais justement remixé Unfold the Future en le modifiant particulièrement par rapport à la première version. Tu comptes procéder de la même façon pour ces rééditions ?

Oui ! C'est déjà ce que j'ai fait pour Back in the World et Retropolis. J'ai également remasterisé les choses car en les réécoutant maintenant avec mon matériel actuel de studio, il y avait beaucoup de choses à reprendre, puisque je peux travailler sur des choses encore plus poussées et précises. Je ne veux pas trop modifier l'ensemble mais améliorer l'expérience de l'auditeur, qu'il ait vraiment l'impression que la nouvelle version offre un plus par rapport à celle qu'il possède déjà. Si nous vendons un album, je veux qu'il y ait une plus-value pour l'auditeur et que ça ne soit pas juste pour gagner de l'argent. Chacun doit pouvoir y trouver son compte. Les auditeurs doivent entendre et découvrir des choses qu'ils n'avaient peut être jamais remarquées sur les versions d'origine. Je me mets dans la peau de l'auditeur et je me demande ce que j'aimerais mieux entendre par exemple. C'est la même chose pour les rééditions de Jethro Tull ou King Crimson. Je connais ces albums, mais je souhaite y trouver des choses que je ne connaissais pas et avoir l'impression de redécouvrir les morceaux.

Comme nous l'avons évoqué, tu es très prolifique, puisque tu as écris des morceaux pour The Flower Kings, Transatlantic, Jon Anderson, The Sea Within, etc... Lorsque tu écris un thème, sais-tu à l'avance sur quel projet il finira ?

Non, pas vraiment. Habituellement, je travaille lorsque j'ai une fenêtre de tir. Si par exemple j'ai trois semaines devant moi durant lesquelles je n'ai rien de prévu, pas de tournée ou autre, je rentre dans mon studio et j'essaye d'écrire. J'enregistre les fichiers et j'y reviens plus tard. Pour le dernier Transatlantic par exemple, j'ai proposé près d'une heure et demie de musique. Nous n'avons bien entendu pas tout exploité et j'ai pu retravailler certains passages non retenus pour By Royal Decree.

C'est peut être la raison pour laquelle ta patte est très présente quelque soit le projet sur lequel tu interviens ?

Oui peut être. Cela arrive parfois que l'un des membres de Transatlantic n'aime pas l'un de mes riffs ou l'une de mes propositions, et que lorsque je la propose à mes partenaires des Flower Kings, ils l'adorent immédiatement ! (rires) Chaque personne est différente et Mike Portnoy par exemple a des goûts qui ne plairaient pas forcément à ce qu'aiment les autres membres des Flower Kings. Pourtant les deux jouent du rock progressif. Mais les deux groupes et chacun de ses membres recherchent parfois des choses différentes au sein de la scène prog. C'est la même chose pour The Sea Within...Si les musiciens avec qui je travaille aiment ce que je propose, on garde et s'ils n'aiment pas, je ne les force pas, et je garde l'idée sous le coude pour un autre projet.

"James Labrie est un grand frontman et un grand chanteur et Dream Theater n'a jamais sonné aussi bien !" (Roine Stolt)

Lors de la sortie de ton premier album solo, The Flower King, tu as dit que tu voulais « créer une alternative au darkn'evil, hardcore black suicidal metal » que tu qualifiais de « destructif ». Aujourd'hui, tu joues régulièrement avec des artistes de la scène metal, à commencer par Daniel Gildenlow (Pain of Salvation) ou Mike Portnoy (ex-Dream Theater). Ton opinion sur ce style a-t-elle changé ?

Il est vrai qu'on ne peut pas généraliser, le metal n'est pas toujours affilié au black metal. A une certaine époque, je trouvais que ce style était trop sombre, trop négatif et avait tendance à tout voir en noir. Aujourd'hui, mon avis a changé et je suis plus porté sur l'aspect musical. As-tu vu Spinal Tap ? A travers leur humour, c'est un peu la façon dont je vois le metal aujourd'hui. On retrouve des mecs qui malgré leur âge sont toujours là à porter des cheveux longs et des vêtements noirs, essayant d'être cool devant leur gros amplis Marshall ou derrière un gros kit de batterie (rires). Aujourd'hui, les choses sont jouées avec beaucoup plus d'humour et moins de sérieux et je m'y retrouve d'avantage. Mais quand j'ai déclaré cela il y a 30 ans, il y avait une petite touche humoristique dans ma phrase ! (rires) Je ne me voyais pas comme un metalhead, bien qu'à l'époque déjà, j'avais déjà joué avec des musiciens de metal, comme Göran Edman qui a chanté pour Malmsteen, ou John Norum d'Europe. Il aime cette musique, mais aussi beaucoup d'autres choses. Au cours des années, j'ai été de plus en plus en contact avec des musiciens de metal. Et quand Transatlantic a vu le jour, je ne connaissais pas très bien Dream Theater mais je trouvais qu'ils avaient quelque chose de différent des autres groupes. C'était une sorte de fusion prog, jouée par un groupe de metal. J'ai justement regardé des vidéos live de Dream Theater hier. Et je suis très agréablement surpris par la façon dont ils ont évolué au cours des années. Je trouve que le groupe sonne très bien et leur dernier album est excellent. D'ailleurs, je sais que leur chanteur est souvent critiqué, mais je ne comprends pas pourquoi. C'est un grand frontman et chanteur et le groupe n'a jamais sonné aussi bien. Parfois, les gens sont très sévères. La façon dont John Petrucci et Jordan jouent ensemble, c'est fantastique. Ce type de metal n'est pas le même que celui que je dénonçais alors. Dream Theater a finalement plus à voir avec Deep Purple ou Led Zeppelin. Je suis moi-même plus proche de ces artistes. Deep Purple par exemple possède une section rythmique qui swingue avec Ian Paice. Ce sont de très bons musiciens et Ian Gillan est un très bon chanteur aussi.

J'imagine que ce qui te plait, c'est cette fusion entre jazz, musique classique et rock ?

Totalement !

C'est également ce que tu cherches à pratiquer avec les Flower Kings...

Oui, c'est vrai. On retrouve des influences jazz, folk, classiques et rock au sein des Flower Kings. Il y a aussi quelques influences metal, mais elles sont bien enfouies (rires). On doit quand même entendre notre amour pour Deep Purple ou Led Zeppelin dans nos compositions. Hasse quant à lui est fan de metal et il aurait pu chanter dans un groupe de metal. Mais je l'ai amené au prog ! (rires). Il était déjà familiarisé avec Yes et Genesis. Mais oui, il y a toujours un moyen de fusionner plusieurs styles différents. Nous ne sommes d'ailleurs pas effrayés non plus à l'idée de faire des morceaux pop. Si la mélodie est bonne, on peut intégrer des passages pop à un morceau épique et proggy de 20 minutes durant 4 minutes, avant de rebasculer vers quelque chose de plus complexe. Pour être honnête, c'est même le cœur de la musique progressive de faire ce que tu as envie de faire. Les Flower Kings ont toujours été un moyen d’expression. On ne cherche pas à sonner prog, sonner metal, sonner compliqué. On ne cherche pas à jouer de façon forte ou soft. On veut juste faire des chansons que l'on aime jouer et on espère que notre public les aime également.

Oui, mais parfois, la façon dont vous créez de la musique aboutit tout de même à quelque chose de très complexe. Pourtant, aujourd'hui les modes de consommation de la musique semblent à l'opposé de votre façon de faire puisque les gens n'ont plus le temps d'écouter et d'apprécier des titres longs et complexes.

J'imagine que ce point de vue est aussi une question de génération et d'âge. Quelqu'un m'a dit récemment que les choses changent encore dans l'industrie musicale et que les gens recommencent à acheter des CDs. Comme je gère également la boutique en ligne de mon site internet, j'ai pu constater une importante augmentation des ventes de vinyles et de CDs. Nous en vendons en quantités équivalentes. D'ailleurs, lorsqu'Inside Out et Sony ont décidé de presser à nouveau notre back catalogue, nous nous sommes rendus compte qu'il y avait une liste d'attente très importante, car les usines de pressage tournent à plein régime. Tout cela nous amène à constater que les gens aiment ces formats physiques, qu'il s'agisse d'auditeurs qui ont mon âge ou bien de plus jeunes. C'est aussi une bonne chose d'inclure les CDs en bonus dans une édition vinyle, cela laisse le choix du format, il y a tant d'options possibles. Pour un groupe comme le nôtre, je ne sais pas trop à quoi va ressembler le futur, en terme de ventes et de formats. Mais j'espère que les choses continueront dans ce sens. Posséder un catalogue musical dans un cloud, cela ne me parle pas.

"Tu dois être ouvert d'esprit pour jouer dans les Flower Kings ! Et au contact d'autres musiciens, je garde ainsi l'esprit ouvert !"

(Roine Stolt)

Cette question de l'âge de tes auditeurs m'amène au prochain point. J'ai posé la même question il y a quelques semaines à Arjen Lucassen, car comme lui, tu es un pont entre les générations de musiciens. Tu as eu la chance de jouer avec tes héros, Steve Hackett et Jon Anderson, mais également avec des musiciens de ton âge, comme Mike Portnoy et Neal Morse. Aujourd'hui, tu travailles avec des jeunes artistes comme Zack Kamins et Mirko DeMaio au sein des Flower Kings. Qu'apprends-tu au contact de chaque génération de musiciens ?

Oh, question piège ! (rires) Ce que j'apprends n'a peut-être pas de lien direct avec l'âge des personnes avec qui je travaille. Mais en jouant avec d'autres, tu apprends forcément à les connaître, à savoir quelles chansons ils préfèrent, ce qu'ils aiment que tu apportes dans les compositions. Ils m'apportent aussi leur vision, ce qui est très utile car en écoutant mes albums, je sais ce que j'aime le plus. Mais au contact d'autres musiciens, je garde ainsi l'esprit ouvert. Mirko voulait par exemple que le son de batterie soit plus fort sur ce nouvel album. J'ai essayé de le mixer plus en avant du coup (rires). En discutant avec lui par exemple, j'ai également appris que son groupe préféré était Queen. En ce qui me concerne, ce n'est pas forcément l'une de mes références. Ce qui est amusant, c'est que beaucoup de batteurs qui sont passés par les Flower Kings aimaient Queen. C'était aussi le cas de Félix Lehrmann [batteur des Flower Kings entre 2012 et 2014 NDLR]. C'est d'ailleurs amusant car Queen n'a jamais été spécialement réputé pour ses lignes de batterie. C'est un super groupe, mais la batterie n'est jamais démonstrative, elle est au service des chansons. A côté de cela, Mirko adore des batteurs plus techniques comme Neil Peart (Rush), ou des batteurs de fusion. Mais nous avons tout de même des choses en commun en terme de goûts, comme de la musique orchestrale par exemple ou des artistes comme Frank Zappa. J'ai toujours eu l'impression que les musiciens qui jouaient avec moi dans les Flower Kings avaient une très grande ouverture d'esprit et je pense que cela ne fonctionnerait pas sans ça. J'ai besoin que les musiciens des Flower Kings ne soient pas uniquement intéressés par Deep Purple, Zappa ou les Beatles. Tu dois être ouvert d'esprit pour jouer dans le groupe. Car dans nos albums, tu sais qu'il y aura des ballades, des parties jazzy improvisées, des influences indiennes, des choses orchestrales. Et je ne veux pas que quelqu'un suggère que nous coupions telle ou telle partie car cela ne fait pas partie de leur répertoire. Mais je suis chanceux, pour l'instant cela ne s'est pas produit et tout le monde reste ouvert à l'idée de jouer de la pop, du hard rock ou du folk dans nos chansons.

"Gagner de l'argent c'est une bonne chose, mais je ne renierais pas mon bonheur pour du succès" (Roine Stolt)

Est-ce qu'en raison de cette ouverture d'esprit, il t'est parfois arrivé d'avoir des soucis avec ton label, qui pourrait être réticent à l'idée d'une telle fusion d'influences, parfois difficile à vendre ?

Je crois que les labels avec lesquels j'ai travaillé n'ont jamais rien dit à propos de la musique. Je crois que cela n'arriverait que si l'on se mettait à ne vendre que très peu d'albums. Tant que les ventes sont bonnes et que notre catalogue est solide, ils ne peuvent qu'être heureux ! (rires) Mais si tout à coup je ne vendais que 300 albums, je pense que je recevrais peut être un coup de fil pour me demander d'écrire des choses commerciales ! (rires)

Et pourtant, si tu le voulais, tu pourrais écrire un hit [référence au titre « Hit me With a Hit » du groupe, qui avec beaucoup de second degré et une musique anti-commerciale explique qu'il est très simple d'écrire un hit NDLR].

Oui ! (rires). L'idée de ce titre c'était de dire que si nous le voulions vraiment nous pourrions en écrire. Mais le revers de la médaille serait que je serais obligé de jouer cette musique en tournée... Et je serais beaucoup moins heureux (rires). Si les chansons était commerciales mais intéressantes à jouer pourquoi pas. Si demain on me demandait de partir quelques jours en tournée avec Lady Gaga, pourquoi pas. Cela serait intéressant comme expérience sur une courte période. Mais si on me demandait de tourner pendant cinq ans comme cela, ce serait sans moi car le plus important pour moi au final, c'est d'être heureux et de jouer la musique que j'aime. Gagner de l'argent c'est une bonne chose, mais je ne renierais pas mon bonheur pour du succès.

Peux-tu nous donner des nouvelles de The Sea Within et de Invention of Knowledge, deux autres de tes projets ? As-tu commencé à travailler sur la suite ?

Pour The Sea Within, les choses sont un peu complexes, car Tom Brislin, le claviériste, est désormais membre permanent de Kansas. Ils tournent beaucoup, et lorsqu'ils feront une pause dans leur tournée, ça sera probablement à mon tour d'être sur la route. Et puis je comprends la position de Tom de donner sa priorité à Kansas. Ils viennent de sortir un album qui est très bon, il est dans une bonne situation. A côté, Jonas Reingold, qui joue aussi dans The Sea Within, va être occupé avec Steve Hackett comme je te l'ai dit tout à l'heure. Cela ne laisse donc que Marco Minneman, Casey McPherson et moi-même pour travailler sur le prochain album. Nous pourrions effectivement le faire, mais il faut attendre que nous dégagions du temps pour cela. J'ai d'ailleurs beaucoup aimé travailler avec Casey et Marco. Pour le projet avec Jon Anderson, le deuxième album est en route ! (rires) Nous avons lancé tout cela il y a plus d'un an désormais. Et de son côté, il est en train de travailler sur le second volet de son projet 1000 Hands. Je ne sais donc pas quand tout cela sortira. Le temps file à toute allure et nous manquons de temps tous les deux. De mon côté, je n'ai pas vu passer l'année entre la composition et l'enregistrement du nouveau Flower Kings. Et une fois cela terminé, j'ai travaillé sur le mixage, puis aujourd'hui je donne des interviews... Pour être honnête j'ai demandé au label si quelqu'un d'autre pouvait m'épauler pour la phase de promotion de l'album, Mirko par exemple. Mais ils m'ont dit « mais c'est à toi que les journalistes veulent parler ! » (rires) « Ils voudront te parler aussi de Transatlantic et de The Sea Within » (rires) . Donc je n'ai pas pu refuser. Et comme tu le vois j'ai beaucoup de projets et peu de temps pour les réaliser. Cela me met un petit peu de stress et de pression (rires). Et il faudra que je répète pour les concerts de Transatlantic ! (rires)

"Le temps est précieux. Nous devons être là, donner le meilleur de nous-même et que chacun apprécie l'instant présent !" (Roine Stolt)

Je te libère bientôt alors, mais avant de nous quitter, j'ai une dernière question : après une telle carrière, quel est ton meilleur souvenir ? Et le pire ?

Je ne sais pas s'il y a vraiment un « pire souvenir » pour être honnête. C'est vraiment une question difficile. Pour le meilleur, c'est peut-être mon premier album, que j'ai sorti en 1975 avec Kaipa. Nous étions en contrat avec Decca en Suède et c'était un grand moment de tenir dans mes mains le premier vinyle sur lequel je jouais. Il y a plein d'autres super souvenirs, tous les concerts que nous avons donnés, ou jouer sur ce bateau de croisière avec la Progressive Nation at Sea... Ou encore la tournée avec Jon Anderson où nous jouions Tales From Topographic Oceans de Yes, qui était l'un de mes albums préférés quand j'étais adolescent. C'était un moment magique. Surtout quand nous avons joué des titres mythiques de Yes comme « Yours is No Disgrace », « And You and I » ou « Long Distance Runaround ». J'ai eu le même sentiment quand j'ai tourné avec Steve Hackett et que nous jouions des morceaux de Genesis, notamment ceux de The Lamb Lies Down on Broadway. Honnêtement, c'est dur de choisir un seul moment, mais si je pouvais revivre certains instants, j'aimerais revoir celui où j'ai tenu mon premier Kaipa dans mes mains en 1975.

Merci Roine pour le temps que tu nous as consacré et pour cet échange. As-tu un dernier mot pour nos lecteurs ?

C'est difficile car je ne connais pas tes lecteurs (rires). Mais j'espère que la situation sanitaire reviendra à la normale rapidement et que tes lecteurs et nous-même pourront de nouveau apprécier les concerts. En concert, il y a toujours une très belle énergie et nous avons tous besoin de ces moments spéciaux. J'ai hâte que nous venions vous retrouver avec les Flower Kings ou Transatlantic et que les gens viennent à notre rencontre. Car on ne sait jamais de quoi demain sera fait et cela me fait toujours bizarre de voir dans mon fil d'actualité que les musiciens qu'on apprécie ne sont plus là, comme Ian Mac Donald de King Crimson qui vient de décéder. Le temps est précieux. Nous devons être là, donner le meilleur de nous-même et que chacun apprécie l'instant présent !

Interview réalisée le 11 février 2022
Photographies promotionnelles : © DR

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