Check-In Party, jour 2 : Guéret, paix

Deuxième jour au Check-In Party, mais après la journée intense de la veille, on est fatigués comme un troisième jour. Heureusement que le festival ne dure pas plus longtemps, sinon on serait obligés de chercher un nouveau corps pour y transférer notre âme abîmée.

Aujourd’hui, les programmateurs ont fait le choix de proposer une affiche plus familiale que la veille, avec un peu moins de vilains groupes tout sales, et un peu plus d’artistes grand public. C'est la grande pacification des foules. On aime bien l’idée, la cadence sera moins soutenue, ce qui n’est pas pour nous déplaire, et puis le spectre stylistique s’élargit, ça rafraîchit, l’équilibre est chouette. Après l'agitation première, la sérénité ; et d'ailleurs, après la pluie, le beau temps.

A 15h45, on suit le Green Line Marching Band, un orchestre déambulatoire venant chercher les festivaliers jusqu’au camping, pour les emmener aux portes du festival. Un bon moyen d’oublier la gueule de bois, au son de quelques reprises bien choisies, allant de Beck aux Pixies en passant par les Hives. On marche joyeusement derrière la structure tentaculaire tirée par un vélo, y’a même des confettis, résultat, on est de bonne humeur.

Lysistrata

On change totalement d’atmosphère avec Lysitrata, le groupe surprise (bonne surprise !) de cette édition, programmé sur la petite scène Helicoptere. Finie la fanfare et les cotillons, on est cueillis à froid par les atmosphères lourdes, sombres et instables du trio.

En ouverture, en plein après-midi, on ne se sent pas spécialement préparé à avaler l’émotion aride proposée par le groupe, le coup bas nous étourdit un peu. Sur scène, l’attitude simple et sans pose est attachante, autant qu’elle contraste avec le très gros son craché par les enceintes. La qualité de composition, tout de même, est indéniable, les structures tortueuses nous permettent d'observer une gamme de paysages sonores très riche.

Los Bitchos

On ne verra pas grand-chose du concert du quintet Los Bitchos, puisque l’on file interviewer MadMadMad. On ne captera que deux petits morceaux, instrumentaux agréables, mais à la composition pas spécialement transcendante, servis par une interprétation quelque peu bringuebalante.

Kevin Morby

A 19h passées, Kevin Morby brille plus pour les yeux que pour les oreilles. Sa veste dorée scintille joyeusement dans la lueur descendante de ce samedi creusois, mais la composition de ses morceaux, simpliste au possible et probablement bâtie sur une volonté d’efficacité instantanée, ne décolle pas. On sent que les refrains se veulent fédérateurs, que tout est bâti pour que tout roule, fluide, sans accroc ; pas la moindre petite roule grippée pour crisser un peu.

Sur ce genre d’intentions, c’est généralement du tout ou rien : pour nous, ce sera le rien, on n’entre pas dans l’univers, en fait, on ne le décèle même pas. C’est bien souvent le son de cette roulette grippée qui révèle la personnalité de l’artiste, ici tout est trop bien huilé, tout glisse trop pour qu’on s’y accroche.

Working Men’s Club

Sans aucun doute le groupe que l’on attendait le plus de voir aujourd’hui. Le dernier album, Fear Fear est pourtant à peine sorti, le CD a déjà de sales traces d’usure. A l’annonce de la programmation, il nous avait paru étonnant que Working Men’s Club soit programmé si tôt, de jour, quand le beat électronique typé rock de club nous semblait appartenir à la nuit. Du coup, lorsque les musiciens montent sur les planches, le soleil brille encore suffisamment pour que tout le monde puisse voir qu’ils font bien la gueule.

On ne sait s’il s’agit d’une posture ou si c’était pas bon à la cantine, mais la moue de six pieds de long prend beaucoup de place sur la scène, d’autant qu’elle est servie par une immobilité quasi totale de trois des musiciens. On s’approche même dangereusement d’un 100 % statique avec le bassiste, qui joue environ une note toutes les trois minutes, complètement surpassé par les séquenceurs qui avoinent derrière : on dirait presque qu’il n’est exposé là que pour la performance visant à représenter la lutte inégale de l’homme contre la machine.

On sait que Working Men’s Club est plus le projet personnel de Sydney Minsky-Sargeant  qu’un véritable groupe, et quand on lit la description de « control freak » qu’en font les journalistes qui l’interviewent, on se dit que c’est sans doute une consigne. Pour nous c’est un mauvais choix, le bonhomme se retrouve tout seul au milieu de la scène à alterner entre adresses à ses synthés et adresses timides au public, le contact peine franchement à s’établir. L’album est joué tel quel, sans fantaisie supplémentaire.

On n’arrête pas de se dire qu'avec un batteur, juste pour les live, ça pourrait être bien plus vivant. Non pas que l'on se positionne comme un anti-boite à rythme chevronné, simplement, celle-ci est rèche, plate, à la limite de l'oppressant ; si la maîtrise des sons de synthé est enthousiasmante, on sent un vrai manque du côté du rythme, ou en tout cas, de sa retranscription en live.

Battles

D’autres choix incompréhensibles sont portés sur scène quelques minutes plus tard, mais ceux-ci sont de ceux qui nous font nous sentir bien : avec Battles, on est perdus pendant 55 minutes, et c’est précisément ce qu’on recherche. Un set entier bâti sur des étrangetés sonores, des sons tordus, un batteur humain et un prestidigitateur musical, pour un duo qui finalement expose une autre vision de la cohabitation entre les individus de chair et d’os, et ceux de ferraille et d’électronique. C’est un projet assez utopique, une vision radieuse du futur, où l’esprit libre de l’Homme n’est pas mis en boite, mais bien propulsé par la technologie, soutenu, prolongé, bref, le genre d’histoires d’amour que l’on veut voir en prime time à la télé, sur les chaînes du service public.

Eh ben, ça joue incroyablement bien. La précision est chirurgicale, mais la composition intègre ce qu’il faut de vice pour percer comme il faut notre croûte crânienne et se faire un chemin vers la face cachée de notre cerveau.

Pour ne rien gâcher, maintenant que l’obscurité a gagné l’aérodrome, le jeu de lumières est finement ciselé, colle au son en même temps qu’il le sublime. En fait, on en vient même à sortir complètement du concert, pendant un long moment, pour se perdre simplement dans la contemplation béate de ce feu d’artifice de bien meilleure qualité que celui de Saint Cyr sur Mer pour le 15 août.

The Limiñanas

Dès le début du concert des Perpignanais, une absurdité va retenir notre attention, jusqu’à virer à l’obsessionnel, et franchement, nous pourrir le concert entier. La batterie de Marie Limiñana ne présente pas de charley. Bon, c’est un choix, elle préfère driver au tom basse, soit. Mais dans ce cas, pourquoi, dès le premier morceau, envoyer un sample de charley ? Même pas un son un peu traficoté, électronisant ou quoi que ce soye, non, un bête charley tout acoustique, mais samplé. Bah si elle veut pas qu’il y ait de charley, ben n’en mettez pas, non ? Et puis si elle veut bien qu’il y en ait, ben, autant le jouer non ? C’est pas dur à faire en plus, après plus de dix ans de carrière franchement, elle sait le jouer le charley. Après, peut-être qu’il n’y avait plus de place dans la voiture, je sais pas.

A part ça, malgré quelques faiblesses dans certaines partie chantées, notamment les textes qui parfois, ni ne sont intéressants, ni ne sonnent particulièrement bien, le son des Limiñanas est quand même bien fat, presque aussi lourd que leurs conditions photos de divas qui nous forcent à photographier depuis la fosse – et franchement, bon, quoi. La masse sonore très dense portée sur la scène fait quand même bien son effet, on s'assomme avec un plaisir certain plaisir le temps d'un set vrombissant.

Feu! Chatterton

La dernière fois que l’on voyait Feu! Chatterton en concert, c’était encore un groupe de moyenne envergure, cantonné aux programmations d’après-midi dans la plupart des grands festivals. Depuis, le projet s’est superbement développé, a tutoyé les sommets avec un album à succès, a rôdé son show… Le groupe a passé un cap important, et pour ce faire, a choisi d’emprunter la voie du « grand public ». La proposition est à présent celle d’une sorte de « variété éclairée », l’éclairage étant bien évidemment celui du soin tout particulier apporté aux textes, qui ont toujours été la force de Feu! Chatterton.

Ce choix, naturellement, est assez clivant : l’ADN rock de la formation, même s’il est encore observable dans les instrumentaux, passe complètement à la trappe. Le mix global favorise tellement la voix, que si le groupe derrière passait du heavy metal à la salsa, on ne s’en apercevrait même pas (d’ailleurs on ne peut pas certifier qu’ils ne l’ont pas fait). Ainsi, le son est franchement inhabituel pour un festival de rock, comme si l’on nous téléportait aux Francofolies le temps d’un set. Pour preuve : des briquets sont allumés et tenus en l’air pendant une ballade, quinze ans qu’on n’avait pas vu ça dans un concert – on pensait que c’était fini pour toujours. On est bien dans un autre univers.

Beaucoup apprécient ce show léché, nous, pas tant, d’autant qu’on est franchement irrités par les manières du frontman, dont les interventions entre les morceaux nous rappellent une vieille VHS de Chantal Goya que l’on regardait quand on était petits. Après un discours fatigant sur les Boeings où il épuise le champ lexical de l’aviation (parce que le Check-In est bâti sur un aérodrome, t’sais), il se met à parler en vers, c’en est trop pour nous, nous fuyons.

MadMadMad

De toute façon MadMadMad est en avance, sur son temps d’une part, mais également sur son horaire, et commence son show sur la scène Helicoptere avant l’heure indiquée sur nos petits programmes. La scène à 360 degrés nous permet de choisir notre point de vue, mais la décision doit être mûrement réfléchie : si l’on tente un déplacement, la mécanique des foules aura vite fait de nous éjecter de la fosse.

On choisit un angle, derrière le bassiste, mais avec une vue privilégiée sur la batterie, côté charley, simplement pour pouvoir observer mieux le batteur, qui nous avait échappé lors des deux concerts de MadMadMad auxquels nous avions assisté au début de l’été. Et puis, comme on a interviewé le groupe en français, cet après-midi, le pauvre exclusivement anglophone n’a pas pu décrocher un mot, alors ça nous donne l’impression de rattraper un peu le coup en communiquant via l’autre langage, celui des poum poum tchak.

madmadmad drum

Dans cette esthétique musicale, typée danse ou crève, on peut difficilement se permettre de s’envoyer dans de la grosse technique, du démonstratif : tous les efforts doivent servir le beat, inarrêtable, sacré. Cela crée donc forcément des partitions assez répétitives pour le batteur, calé sur son métronome comme un gabian sur son rocher au milieu de la crique. Toute la filouterie du musicien se révèle donc dans ses relances, la façon qu’il aura d’avertir l’auditeur d’un changement de structure ou d’intention. Ici, Matt Kelly lance régulièrement des roulements étonnamment longs, parfois sur deux mesures entières, en faisant bien attention à reporter, sur les toms, le rythme de la double croche dont il martèle son charley le reste du temps. Ainsi la cadence n’est jamais freinée, cela donne une impression de fluidité très plaisante qui de plus, met très efficacement en valeur le moindre silence, même d’un temps seulement, et lui donne un poids apte à créer une vraie explosion dans la dynamique du morceau.

Ceci pour les considérations théoriques. D’un point de vue plus terre à terre, on a dansé comme des sauvages et secoué la tête à s’en faire péter les tempes.

Meute

Apparemment, tout le monde connaît Meute, sauf nous, super. Jamais entendu parler de ce projet avant de voir leur nom affiché dans tout un tas de festivals cet été, et c’est l’une des têtes d’affiche du jour. Bon.

L’idée de donner la place d’honneur à cette grosse fanfare est une chouette concrétisation de la thématique plus familiale de ce samedi. C’est un spectacle fédérateur, pouvant potentiellement satisfaire toutes les générations : grossièrement, des instruments de darons, les codes de la musique des djeuns, et des costumes à paillettes pour émerveiller les enfants.

meute check in

Nous restons froid de notre côté : l’appropriation des codes de la musique électronique nous semble un peu trop évidente, à la limite de l’opportunisme, et certainement pas transcendée par une composition manquant d’ingéniosité. Sur scène, on s’embourbe dans des chorégraphies inintéressantes, se résumant à des déplacements en pas chassés une fois de temps en temps, qui n’amènent rien au spectacle mais semblent surcharger la mémoire vive des musiciens, bridés, concentrés, empêchés de toute spontanéité. Ça devrait être explosif, c’est pataud et désincarné.

meute live

Arnaud Rebotini

Le show proposé par Arnaud Rebotini ne sera pas bien plus convaincant. Nous étions curieux de voir ce qu’allait donner cette armée de synthés montée sur scène, au final, elle ne nous semble pas exploitée comme on l’espérait. Autant de machines pour produire une gamme de sons finalement plutôt uniformes, on se dit, bon, pourquoi s’emmerder à prendre tout ça ? En enlever un ou deux ça ferait de la place dans le monospace, on pourrait peut-être même prendre un covoitureur, c’est écolo et écono, malin.

Bon, on ne va pas faire la tronche non plus, c’est dansant et agréable, simplement, ça ne colle pas à l’image de geek du synthé que l’on s’en faisait.

arnaud rebotini

En y regardant de plus près, on se rend quand même compte que tout est basé sur une astuce unique, un petit tour de passe-passe qui nous est joué en boucle pendant tout le set : le même procédé de disparition du kick / réapparition nous est le garant d’absolument toute nuance d’intensité.

Déjà, le kick est bourriné sur tous les temps, indéboulonnable, interdit de séjour dans la syncope et le contre-temps – on vous laisse deviner si c’est fatigant ou non. Une fois bien installé sur chaque pulsation, on tisse autour en mettant à contribution l’un des quarante synthés que les roadies ont installé. Puis, c’est là qu’il faut être fin : il va s’agir de retirer le kick, le plus discrètement possible, à la grâce d’une diversion habile – en lançant une autre séquence en même temps, ou au contraire, en en retirant une autre plus proéminente pour attirer l’attention sur ce silence-ci plutôt que ce silence-là – le but est que le spectateur ne s’en rende pas compte.

Pour ça, le larron se démerde vraiment bien (même en étant hyper attentif, on n’arrive à vraiment le griller sur le fait que deux ou trois fois). Ça crée une frustration que le public ressent sans même s’en rendre compte. Et puis, une fois que la foule s’est habituée au manque, on crée un petit appel d’air, un crescendo, un effet d’aspiration, et là BIM, on renvoie le kick. Tout le monde fait « ooooooh » en levant les bras et se remet à danser encore plus fort, on a l’impression d’une surenchère gigantesque alors qu’on est plus ou moins au même niveau d’intensité que 3 minutes avant.

Habile, monsieur Copperfield. Bon évidemment pour nous c’est grillé, une fois que tu as vu la carte dans la manche, la magie ne prend plus. On rentre donc au camping en laissant derrière nous, sur le tarmac, notre âme d’enfant.

arnaud rebotini live

Bilan

La programmation de cette deuxième journée se voulait plus familiale que la veille, plus grand public : pas étonnant qu’elle nous ait bien moins séduit. Mais en réalité, on n’en est pas mécontent du tout : le rush de qualité de la veille était franchement épuisant, alors, pouvoir se poser un peu pour écouter des artistes qui n’en veulent pas tous à l’intégrité de nos tympans, c’est assez agréable. D’aucuns parlerait de déséquilibre, nous souscrivons à l’idée.

Le Check-In est un très jeune festival, puisqu’il n’en est qu’à sa deuxième édition. On a donc logiquement senti que la personnalité véritable de l’événement était encore en gestation, ne serait-ce que pour l’identité visuelle : les décors sont très minimalistes, et ces deux scènes montées côte à côté, si elles présentent l’avantage d’être très repérables et suffisamment proches l’une de l’autre pour ne pas nous faire courir à chaque pause, ont un aspect un peu trivial, posées comme ça, sans fantaisie. Sur le plan organisationnel, on a aussi senti le tâtonnement : outre notre escapade romantique avec la sécurité, des bénévoles nous ont confié que l’accueil pratique qui leur avait été réservé leur semblaient très en dessous des autres festivals – problèmes de catering, charge de travail...

slift

Slift, jour 1

En ce qui nous concerne, du côté de la presse, nous avons croisé des visages joviaux, enthousiastes et sympathiques. Toutefois, le système mis en place pour photographier les artistes nous a semblé incohérent : sur cinq concerts par jour (apparemment ceux filmés par les confrères de Sourdoreille), les photographes étaient divisés en deux groupes : ceux qui pouvaient shooter les deux premiers morceaux, ceux qui pouvaient shooter le troisième. Les médias à portée modeste comme le nôtre n’avaient donc accès qu’à un titre du concert pour prendre leurs photos : c’est extrêmement insuffisant pour faire un travail correct.

Et c’est d’autant plus frustrant lorsqu’on constate que certains de ces médias à nom ronflant, qui sont favorisés par ce système, utilisent leur « autorisation large » pour jeter quelques lignes à propos de neuf groupes (il y en a 25 dans la programmation les enfants), et surtout, ne publier qu’UNE SEULE photo. Qu’il soit important pour les événements de faire figurer les gros noms des journaux paresseux et grassouillets dans leur revue de presse, nous en convenons. Mais que la superficialité un peu honteuse de leur démarche journalistique entrave la nôtre, c’est problématique. Nous ne jetons pas la pierre à l’organisation du Check-In, puisque cette tendance à préférer le standing au contenu, on la retrouve dans la plupart des événements. Simplement, il faut la nommer de temps à autre, pour espérer qu’un jour, dans le futur, le travail effectué prenne l’avantage sur la fame.

Bien entendu, ça ne sera pas notre souvenir le plus marquant du festival ; on retiendra surtout l’excellence de la programmation, en particulier celle du premier jour, qui nous a mis au tapis d’entrée de jeu ; mais « c’est la bonne fatigue », comme disent les darons.

 

Photos : Thomas Sanna

last train

Last Train, jour 1

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