Guitare En Scène 2023 – dimanche : histoires de fumées

Cette année est quand même passée relativement vite. On a prévu notre sitting militant qui consistait à dire qu'on voulait un festival de 15 jours, avec uniquement des concerts en fin de soirée sur la scène Village, mais l'agitation de ce quatrième jour ne nous a pas apporté beaucoup d'attention, tout le monde semblant occupé : il semblerait qu'il y ait encore des concerts ce soir.

Wishbone Ash - Scène Village

Le dimanche, il est question de terminer plus tôt, et donc de commencer la journée sous un cagnard encore plus pesant. Andy Powell, lorsqu'il investit les planches de la scène Village avec Wishbone Ash, nous le fait immédiatement remarquer - il nous fera un point météo régulier, en sérieux candidat au remplacement d'Evelyne Dhéliat qu'il est. Lorsque le combo britannique entame les premiers accords de "The King Will Come", on sent que sa place à Guitare en Scène n'est pas à prouver : pour Wishbone Ash, tout n'est que guitare ! Comme le précise Samuel Degasne, la formation a influencé entre autres des groupes tels qu'Iron Maiden ou Thin Lizzy. Dès leurs débuts en 1969, ils parent leurs mélodies de doubles harmoniques à la guitare, un schéma allègrement repris par le heavy metal des décennies suivantes.

La formule déployée par Wishbone Ash prend racine et s'avère efficace : très vite, les festivaliers savourent les interminables soli, et la joie des membres est fédératrice. Il faut bien s'accrocher à ces éléments plaisants, car niveau compositions, le récit est bien différent. Le problème de Wishbone Ash - et la raison pour laquelle, au-delà de l'influence qu'ils ont représentée, il n'est jamais devenu un groupe culte, n'ayant d'aspect légendaire que sa longévité -, c'est que les morceaux composés sont fades, voire insipides. Que l'on entende "We Stand As One", issu du dernier album Coat of arms, ou un titre du plus reconnu Argus, on ne peut que s'accorder sur le caractère chiant du répertoire, notamment dans les mélodies chantées, sauvées in extremis par ses longs passages de guitare qui distraient, mais ne restent jamais en mémoire. Il faut attendre "Phoenix", le dernier morceau, issu de leur premier album Wishbone Ash, pour avoir enfin une rythmique entraînante, qui change des mid-tempos envoyés jusque là. Est-ce qu'on en retient quelque chose ? Sitôt dit, sitôt oublié, comme du rock de papy gentillet.

One Rusty Band

Après le set trop mou des légendes anglaises, on a préféré rester tout le long du concert dansant des One Rusty Band, en écoutant leur blues rock ancré dans le Bayou, un pied dans les marécages, l'autre dans la claquette de Léa, le tout avec les licks électriques, presque crasseux du cigarbox de Greg. Ce qu'on avait déjà dit d'eux l'année dernière se confirme - c'est par ici pour la session de rattrapage -, avec cette fois le confort de jouer sur une scène ombragée et par des températures largement plus clémentes. Le washboard y passe, comme la planche qui se fait décidément beaucoup piétiner depuis le début du festival. C'est très dynamique et la grosse vingtaine de minutes passe très vite. Sans transition, on file vers la scène Couverte où déjà, Francis Zégut et Samuel Degasne (le duo qui introduisent chacun des groupes de la programmation, exception faite des tremplins) présentent le monument qui s'apprête à se produire, Magma !

Magma - Scène Couverte

Monument semble être un euphémisme quand on parle de Magma, tant le groupe fait partie de ces piliers de la scène française. Fondateurs d'un genre à part entière, le zeuhl ; inventeurs d'un dialecte unique dans lequel sont écrits presque tous leurs morceaux ; considérés comme des références à domicile comme à l'international et, à juste titre, comme un groupe unique et inclassable, dont la musique peut parler autant à des amateurs de rock progressif qu'aux passionnés de John Coltrane. Si on préfère voir le groupe lors de dates en salles plutôt qu'en configuration de festival - rarement les meilleures conditions pour écouter Magma -, on est heureux de pouvoir retrouver cette référence française dans ce festival unique.

À l'instar de leur date au Hellfest 2017 et de bien d'autres en festivals, Magma n'altère que peu son set. Le dernier album en date, Kartëhl, n'est pas prévu pour ça - il faudra retrouver le groupe en salle et surtout avec un plus gros temps de jeu -, mais les standards incontournables sont joués tels quels, sans filtre et en entier. En premier lieu trône l'intense "Mekanik Destruktiv Kommandöh", qui fête ses 50 étés cette année. Une grosse compo de 40 minutes aux ambiances folles et magnifiques à la fois, incantatoire par moment avant de partir vers des horizons plus rock puis de retomber, le tout avec une ligne directrice qu'il est aisé de perdre, ou même de manquer. Magma ne se trahit pas, jamais même, et les réactions dans le public sont diamétralement opposées : il y a ceux qui rentrent dedans et adorent, et ceux qui y restent totalement hermétiques, voire sont animés de réactions épidermiques.

Forcément il y a des déçus dans le public, et on ne saurait les blâmer tant de par sa nature même la musique de Magma est difficilement compatible avec une place en festival. À l'heure du repas, alors que les estomacs crient famine et qu'une bonne partie des festivaliers présents aiment se déplacer régulièrement, aller chercher à boire ou à manger en écoutant un titre de temps en temps, il est clair qu'une formule monolithique comme celle que propose Magma ne peut que difficilement susciter l'adhésion. En dehors des amateurs, déjà acquis à la folie kobaïenne et arborant le logo du groupe sur leur t-shirt, quand ils ne l'ont pas carrément tatoué sur le torse.

De notre côté on jubile, comme toujours, devant cette formation unique qui propose toujours quelque chose de très fort sur scène. Si on trouve que le père Vander délaisse plus souvent les fûts pour nous conter ses histoires en kobaïen que par le passé, cela reste une habile manière de maquiller le poids du temps qui passe. Il reste néanmoins une ombre au tableau, et une importante : les conditions sonores. Lorsqu'on est aussi nombreux sur scène c'est forcément compliqué de tout bien sonoriser, ok, mais les larsens réguliers au point de provoquer des réactions de recul des choristes, on ne devrait pas voir ça. Le souci a pu être corrigé avant la fin du concert, mais le moment d'échange a été altéré. Dommage.

Porcupine Tree - Scène Couverte

On quitte le zeuhl impénétrable de Magma pour se diriger vers quelque chose de plus fédérateur. Comprenons : le public de Porcupine Tree est massivement présent ce soir - sans que ça ne fasse complet. Parce que la musique du trio britannique n'est pas des plus accessibles. Dans ce rock progressif issu d'une fusion entre Pink Floyd et les avancées metal modernes, les longs titres sont l'occasion de plusieurs ambiances, pouvant alterner entre riffs saturés très bruts, aux métriques militaires, et nappes aériennes, où la mélancolie domine. Contrairement à Sting la veille, on ne peut reprocher au trio de sembler antipathique, tant tout est à propos : les thèmes présentés sont bien plus fatalistes, entre pamphlets sur l'apocalypse imminente, auto-destruction de la race humaine, et démise musicale. Des sujets que Steven Wilson ne manque cependant pas de moquer, assumant ouvertement être venu plomber l'ambiance, dans des interventions à l'humour noir certain. Très pince-sans rire, le guitariste chanteur n'est pas toujours à l'aise lorsqu'il s'agit de s'adresser à la foule, mais sait dénoter ses pointes de cynisme, et affirmer son statut de génie prophétique, conscient que ce qu'il dénonçait des années avant dans ses textes n'a connu aucune amélioration.

Il n'est pas étonnant de voir une prestation glaciale, clinique. Tel un lanceur d'alerte conscient que le monde n'a pas écouté ses diatribes et celles de ses confrères, Porcupine Tree vient juste témoigner, rappeler ce que leur musique a représenté, et s'interroger sur ce qu'elle représentera. Les morceaux de Closure/Continuation ont cette vocation : se présenter en observateurs d'un monde qui a dépassé sa date limite, où seule la musique restera lorsque le groupe aura terminé ce nouveau tour de piste. "Devenir immortel, puis mourir", comme dirait Jean-Luc Godard, et comme le dit Porcupine Tree dans l'exceptionnelle "Last Chance To Evacuate Planet Earth Before It Is Recycled". Cette chance-ci est passée, et la seule qu'il nous reste, c'est de savourer ces mélodies une dernière fois. C'est là toute la complexité du sentiment face à une telle prestation : doit-on ressentir du plaisir en écoutant Porcupine Tree ? Peut-on réellement se déhancher, ressentir les envolées musicales, lorsqu'elles accompagnent un débat éthique aussi palpable, qui met tant en avant les délires d'un monde gangréné que notre propre culpabilité à ne pas s'en préoccuper ? Ce débat conscientisé n'est pas commun, puisque tout le monde ne s’enquérit pas forcément des textes d'une formation musicale, et pour ceux déplacés pour la musique, le plaisir ne peut qu'être intact.

Sans laisser place à la moindre digression musicale - ce que nous avons pu reprocher à d'autres prestations de cette édition de Guitare en Scène se comprend ici totalement, tant le rock progressif dans son aspect le plus savant ne peut laisser place à autre chose qu'une interprétation précise des partitions -, Porcupine Tree interprète parfaitement ses titres. Et parfaitement est un terme presque faible, tant la technicité mais aussi l'intensité à fournir sont à l'honneur, laissant à penser que le groupe, pourtant lié par plus de 30 ans d'existence, et revenant d'une longue pause, est de première jeunesse. Difficile de réaliser que Gavin Harrison, qui effectue un travail d'orfèvre derrière les fûts, est désormais sexagénaire ! Le doyen Richard Barbieri semble lui aussi imperturbable, animé d'une mission. On note la performance de Randy McStine, ici de session, qui opère à la guitare et aux chœurs, et se mêle habilement aux ambiances musicales des trois génies.

Encore un parallèle avec Sting, celui d'un groupe qui n'a qu'à s'appuyer sur son répertoire déjà flamboyant pour convaincre. Mais contrairement au dandy anglais qui n'a qu'à se laisser faire par le public qui communie et se veut presque choriste intégral, Porcupine Tree doit hurler, faire vibrer et emporter avec ses structures complexes, que l'on ne peut se contenter d'exécuter sans ferveur. Le retour du trio, si nous pouvons douter de sa durée (un album, c'est déjà très bien !), est sous le signe d'une certaine providence, probablement sombre, dont nous aurions eu tort de nous priver. Ce concert de fin de festival, sans pouvoir profiter d'une formation plus avenante et déconstruite sur la scène Village, se veut presque comme une note d'intention. Après avoir rêvé pendant quatre jours, il est temps de revenir à une triste réalité, celle d'un monde pas bien joyeux. Si nous voulons profiter de quatre jours merveilleux à Guitare en Scène des années encore, peut-être faut-il relire les paroles de Porcupine Tree, et commencer à se bouger un peu.

Photos : Luc Naville/Caroline Moureaux

Textes : Intro + Wishbone Ash + Porcupine Tree : Thierry de Pinsun

One Rusty Band + Magma : Félix Darricau

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