Bruce Soord (The Pineapple Thief) évoque It Leads to This

Dire que Bruce Soord est un bourreau de travail est un euphémisme. Il y a quelques mois, le leader de Pineapple Thief nous recevait en interview pour parler de Luminescence, son troisième album solo, avant de se lancer dans sa première mini-tournée européenne pour défendre ce projet. Aujourd’hui, il vient de sortir Caught in the Hum, l’album live immortalisant ces dates et dans le même temps, It Leads to This, le quatorzième album de Pineapple Thief. De quoi prendre notre téléphone pour discuter à nouveau, moins de six mois après notre dernière entrevue…

Bonjour Bruce et merci de nous accorder ce nouvel entretien, si rapidement après le dernier ! Comment vas-tu ?

Très bien, merci ! Je viens tout juste de terminer de dédicacer un millier de CD pour Caught in the Hum ! (rires) J’ai été très surpris par l’engouement autour de ce live de ma tournée solo, je n’avais aucune idée de si cela marcherait. Mais c’est aussi ce qui m’a permis de rentabiliser la tournée.

A propos de cette tournée solo, nous en parlions tous les deux il y a quelques mois juste avant qu’elle ne démarre. Tu m’avais confié vouloir te produire dans ces salles très intimistes pour retrouver le contact avec le public et surtout espérer des concerts très spontanés. A Paris, le public t’a d’ailleurs réclamé un rappel qui n’était pas du tout prévu, on peut dire que tu as été servi niveau spontanéité !

Oui ! J’ai eu un super public pendant cette tournée. Tu as raison, c’était très spontané car je n’avais pas prévu de titre en plus, c’est le promoteur du concert qui m’a dit « bon, là il faut que tu remontes sur scène ! ». Même si je lui disais « mais je ne sais plus quoi jouer » (rires). J’ai quand même pu improviser une reprise de « No Man’s Land » [un titre de The Pineapple Thief NDLR]. Ce concert à Paris a vraiment été un moment très spécial et clairement ma date favorite de la tournée !

Cette première tournée en solo a donc été au-delà de tes espérances ?

Oui, tout à fait ! En particulier ce show à Paris. En France, on a vraiment senti qu’il se passait quelque chose pour nous avec Pineapple Thief depuis les cinq dernières années, on ne fait que grandir.

N’est-ce pas un peu risqué de sortir au même moment le témoignage audio de cette tournée solo et le nouvel album de Pineapple Thief ?

Non pas vraiment car Caught in the Hum n’est qu’un bonus pour les fans. Le CD/DVD n’est disponible qu’en version très limitée via Burning Shed. J’étais censé le sortir plutôt à la fin du mois de juillet, mais tout a été rapide. Et puis, on parle de sortie, mais ce n’en est pas vraiment une, c’est plus une date à partir de laquelle Burning Shed expédie les albums. Mais une fois que tout aura été expédié, ça sera fini, il n’y aura plus de réédition.

Le fait que les 1000 exemplaires aient trouvé preneur aussi rapidement, est-ce que cela te conforte dans l’idée de faire d’autres tournées solo à l’avenir ?

L’important c’est surtout que les gens comprennent comment s’organise une tournée sous cette forme. Car même si avec Pineapple Thief nous ne sommes pas un gros groupe, nous sommes suffisamment chanceux pour avoir tout de même droit à un tour bus, une équipe autour de nous qui organise toute la tournée, et ce malgré le brexit. Quand tu fais partie d'un petit groupe, et c'est encore plus vrai depuis le brexit, tu dois tout gérer, depuis les autorisations et les papiers pour pouvoir travailler au sein de l'UE, et en prime, cela te coûte encore plus d'argent. Donc tu dois te passer d'une équipe de tournée, passer les nuits dans les hôtels les moins chers et par conséquent tu es plus fatigué après deux semaines à ce rythme. C'est important de réaliser cela, et c'est aussi très sympa à faire même si cela nous demande encore plus de travail. Mais je sais aussi que je ne rentre pas forcément dans mes frais avec une tournée solo. Faire ce CD live, c'est un bon moyen de rentabiliser la tournée et de faire en sorte que Jon Sykes (basse) et moi-même puissions être payés. De plus, le fait que je puisse mixer et produire ce CD nous a évité des coûts supplémentaires comparé à ce que nous aurions eu s'il avait fallu passer par quelqu'un d'autre pour le faire.

L'idée même de ce CD/DVD était-elle donc prévue avant la tournée dans cette optique ? Ou bien est-ce lié à l'accueil que vous avez reçu pendant les différentes dates ?

J'ai pensé dès le départ que nous pouvions potentiellement enregistrer quelques dates pour les rendre disponible en téléchargement. Nous avons repensé à sortir cela en physique quand nous avons réalisé à quel point la tournée était spéciale pour nous... je ne parviens d'ailleurs même pas à décrire ce que nous avons ressenti tellement c'était fort (rires) Je pourrais dire que c'était chaotique car ça manquait un peu de rigueur parfois...

Tu dis cela car à plusieurs reprises tu ne savais même plus où étaient tes lunettes pour regarder la setlist ?

(rires) Oui, c'est exactement ça ! Mais heureusement malgré toutes ces galères, les spectateurs me soutenaient et étaient de mon côté ! (rires) c'était totalement improvisé, mais c'était ce que je recherchais de toutes façons.

Revenons à It Lead to This, le nouveau Pineapple Thief. C'est finalement le premier album avec du matériel original depuis Versions of the Truth (2020). Etais-tu impatient ou au contraire anxieux à l'idée de t'y remettre ?

Non, j'étais plutôt très excité à l'idée de travailler à nouveau sur des nouvelles chansons pour mon projet principal. D'autant plus qu'elles contiennent beaucoup de guitare et sont peut être plus pensées pour être jouées live. Elles sont plus directes, plus rock, que ce que nous avons pu proposer sur nos derniers albums. Dès les premières répétitions, nous avons senti que cela rendrait bien en concert. Je pense que nous avons proposé un bon équilibre entre notre facette plus rock et celle plus prog. Ce qui peut être plutôt effrayant, c'est que même si nous avons un bon feeling sur ces nouveaux titres, il nous faudra attendre de voir les réactions du public en concert pour savoir s'ils fonctionnent ou pas (rires).

Les premières ébauches de ces compositions remontent à trois ans. Mais depuis, vous avez fait un break de quelques mois puisque la dernière fois que vous avez joué tous ensemble, c'était en juillet 2022. Gavin a profité de ces quelques mois pour rejouer avec Porcupine Tree et toi pour te focaliser sur Luminescence. Cela t'a apporté j'imagine du recul par rapport aux premières ébauches...

Oui, car nos sessions d'écritures ont été très intenses. Initialement, les premières sessions de travail remontent à la pandémie car Versions of the Truth a été publié en 2020 mais achevé bien avant et repoussé du fait du Covid. Puis nous avons fait cette pause que tu mentionnais, Gavin a été très occupé avec Porcupine et moi avec mon projet solo. Et quand nous nous y sommes remis un an plus tard, nos idées étaient fraiches. J'ai passé un peu de temps avec Gavin dans son studio à jammer. C'était une façon assez « traditionnelle » de travailler et d'écrire de la musique mais c'est ce qui nous convient le plus. Aujourd'hui, beaucoup d'artistes ont leur home studio et travaillent tout seul. Mais parfois cela revient à perdre l'alchimie qui règne au sein du groupe. Nous avons déjà composé de la sorte, mais le fait de réaliser cela m'a permis de travailler de façon collégiale. Cela conduit à faire des sessions très intenses, qui sont parfois très fatigantes. Mais cela apporte de belles perspectives dans la carrière du groupe.

Cette façon de travailler en groupe s'entend sur l'album, en particulier sur le morceau « Every Trace of Us » qui bénéficie d'une belle ligne de basse de Jon Sykes. Etait-ce l'une de ses idées ou l'as-tu aiguillé vers cette façon d'écrire ?

Non, et c'est justement toute la beauté de ces sessions. Car c'est né de ce lâcher-prise. Chacun d'entre nous a joué de la façon dont il sentait les choses, de façon très naturelle. Sur ce morceau en particulier, je me rappelle que Gavin était en train de jouer un pattern rythmique que l'on retrouve sur le refrain. Jon a proposé cette ligne de basse qui collait avec la signature rythmique de Gavin, tout ce passage vient de lui. Et cela m'a bluffé. Ce qui est amusant c'est que nous avons dévoilé récemment ce titre comme single et tous les commentaires parlaient de cette ligne de basse (rires). C'est une partie intégrante du refrain et le résultat est vraiment bon. Je n'aurais d'ailleurs jamais pu proposer ce genre de partie car je n'y aurais tout simplement pas pensé. C'est pour cela que ce groupe fonctionne en tant que tel et c'est toute la différence avec la période où j'écrivais tout comme un artiste solo. Cela permet d'ailleurs de sonner de façon nouvelle pour le groupe car il s'agit aussi du quatrième album avec Gavin. Malgré tout, cela sonne de façon fraiche ; il faut juste accepter en tant que songwritter de laisser les choses se faire et de donner de la place aux autres membres du groupe.

Ces compositions sont en apparence plus simples que sur les deux premiers albums avec Gavin (Your Wilderness et Dissolution), plus directes aussi et plus rock. Toutefois, on note que les arrangements sont très riches et font la signature sonore de Pineapple Thief aujourd'hui...

Tout à fait... Quand on regarde la tracklist, on pourrait se dire « tiens, il n'y a pas de long morceau ». C'est vrai, tous les titres font environ cinq minutes. Je ne me suis pas mis en tête d'écrire des chansons simples ou très rock. J'aime beaucoup les titres simples car ils ont souvent une bonne mélodie. Mais je veux surtout garder le meilleur des deux mondes, trouver l'équilibre entre le prog et le rock tout en gardant des mélodies qui me touchent. Je veux garder aussi de la profondeur dans mes chansons. Il peut y avoir cette profondeur sur un morceau de cinq minutes d'ailleurs, l'important c'est de tirer le meilleur d'une chanson.

J'ai l'impression que le mode de composition en binome te réussit bien, comme tu le fais avec Gavin, ou auparavant avec Jonas Renkse de Katatonia au sein de Wisdom of Crowds. Au sein de la scène rock, c'est un mode de composition très « iconique » : on pense à Lennon / McCartney, Jagger / Richards, les frères Young...

C'est amusant comme remarque. Effectivement, si tu rencontres quelqu'un en qui tu as confiance et que tu respectes, tu peux tirer le meilleur de cette association. Tu peux aller tellement plus loin que tout seul ! Et je le dis en toute connaissance de cause puisque je compose souvent seul, notamment pour mon projet solo. En disant cela, je réalise grâce à toi que Wisdom of Crowds est sorti il y a un bout de temps maintenant... C'était en quelle année ? 2012 ?

Non, en 2013.

Ah oui ! Je sais que les journalistes me demandent tout le temps quand on sortira la suite. Et quand je relance Jonas il me répond [il prend une grosse voix caverneuse NDLR] « oui, oui, il faut que nous le fassions. » (rires). Oui, il faut vraiment qu'on le fasse, c'est certain ! (rires). Je vais lui envoyer un sms après ton interview pour lui dire qu'il faut qu'on s'y mette ! (rires)

Tu as dit à l'instant qu'il était difficile de trouver la bonne alchimie avec un autre musicien. Quel est ton opinion à propos des associations de musiciens qui forment des supergroupes ?

C'est très spécifique à la scène progressive ces supergroupes. Je pense que ce que tous les fans de prog veulent – et ce dont personne n'a besoin – c'est de nouveaux supergroupes ! (rires) Je pense que très souvent, c'est surtout une excuse pour faire de nouveaux albums et un fantasme de fan avant tout. La plupart des musiciens qui jouent dans des supergroupes sont incroyables et très talentueux sur le papier mais parfois il n'y a pas d'âme. Tout est très propre mais l'ensemble est très sec. En mettant tous ces gens ensemble, cela ne permet pas toujours d'avoir un travail de composition équitable et organisé. A moins d'être très chanceux. J'ai du mal à voir quel supergroupe a abouti à un album vraiment exceptionnel... Souvent, les fans de prog se disent qu'ils aimeraient voir tel guitariste capable de jouer à la vitesse de la lumière s'associer à tel autre musicien incroyable. Ce n'est pas mon cas. Et parfois, en discutant avec ma femme, elle me fait remarquer que tel groupe joue parfaitement bien, mais qu'il n'y a pas d'âme. Ma femme n'est pas une fan de prog, mais une mélomane avant tout. Elle me permet d'ailleurs de garder les pieds sur terre et de continuer à composer des chansons qui ne misent pas tout sur la technique (rires). C'est une bonne remarque, je n'avais jamais trop discuté de ces questions là (rires).

Au cours de votre prochaine tournée, c'est Randy MacStine qui va assurer votre première partie. Il avait déjà joué avec vous il y a quelques années aux Etats-Unis, toutefois il n'est pas encore très connu en Europe...

Oui, je crois que c'est Gavin qui a suggéré son nom car il joue sur son album solo. On aime bien choisir des artistes plus intimistes en ouverture plutôt que deux ou trois groupes qui vont jouer à plein volume et fatiguer les auditeurs avant la tête d'affiche. De plus, on sait que c'est un gars sympa pour avoir déjà tourné avec lui. Je sais qu'il a également joué avec Porcupine Tree. C'est quelqu'un qui va vraiment compléter l'affiche avec une musique très personnelle.

Tu as d'ailleurs récemment choisi un autre artiste solo, Smalltape [de son vrai nom Phillipp Nespital NDLR], capable de jouer seul sur scène lors de ta dernière tournée pour défendre Luminescence...

Oui, je le connaissais auparavant et j'aimais déjà sa musique. C'est la même chose que pour Randy, c'est quelqu'un d'adorable, capable de tout faire. D'ailleurs, au cours de l'une de nos dates, notre batteuse, Tasha Buxton n'a pas pu assurer le concert. Sur le moment, nous nous sommes demandé comment faire et Philipp nous a rappelé qu'il savait aussi faire de la batterie. Il connaissait notre set par cœur et a pu sauver la soirée !

As-tu encore le temps de découvrir de nouveaux artistes avec ton activité ? Et si oui par quel biais ?

C'est difficile, je dois l'admettre. Ma femme me fait écouter de la musique via Spotify. Mais il y a tellement de choses dessus qu'il est difficile de vraiment creuser. Finalement, le moyen qui me permet de vraiment faire de nouvelles découvertes, c'est lorsque des artistes me contactent pour que je m'occupe du mixage de leur album. Je m'occupe d'ailleurs en ce moment même du prochain Pure Reason Revolution. Et je peux dire qu'il sonne très bien ! (rires). C'est donc ce que j'écoute toute la journée en ce moment ! Je dois admettre tout de même que lorsque l'on passe beaucoup de temps à travailler sur de la musique, à mixer et à jouer, parfois on est fatigué d'en écouter. Lorsque j'ai dédicacé les 1000 exemplaires de mon dernier CD live, j'ai demandé à le faire dans le silence ! (rires). Cela reste le meilleur moyen de se reposer ! (rires)

Peut-être qu'un jour tu choisiras de sortir un album entièrement constitué de silence ! (rires)

Oui, ça serait une bonne idée ! (rires) Et je serai le premier à remplir à ras-bord l'album ! (rires)

Interview réalisée le 24 janvier 2024 par skype.

It Leads to This, disponible depuis le 9 février 2024 chez Kscope
Photographie promotionnelle : DR Tina Korhonen // Kscope

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