A Place To Bury Strangers étend sa secte à Marseille (+ Maquina)

17 avril 2024, le Makeda se prépare à déborder, asperger de décibels la rue Ferrari où bordel qu’est-ce qu’il est difficile de trouver une place de parking. Pédales Death By Audio au stand de merch, grand chevelu à la mine réjouie furetant dans la salle, ex-festivaliers du Pointu partout autour du bar, pas de confusion possible, ce soir on y Bury des Strangers à grands coups de pelle électrique.

Maquina

En introduction, c’est le trio portugais Maquina qui se charge de pré-creuser le trou. En travaillant sur la chronique de leur nouvel album Prata tout au long de la semaine précédant le concert, l’excitation est montée jusqu’au point où l’on se languissait peut-être encore plus de les capter que le groupe pour lequel ils ouvrent. Tant dans l’esthétique que dans la production, on y pressentait une appétence particulière pour la chose live, et on n’est nullement déçu.

Aucun doute à présent que ces longues séquences de basse répétitive n’ont d’autre fonction que de s’écraser dans les museaux en direct et sans intermédiaire. L’investissement de la palette fréquentielle est total, et l’équilibre que l’on trouvait à l’album dans la répartition des tâches, à savoir un basse-batterie ultra présent lié comme une grosse sauce bien grasse et épaisse par la guitare distordue en roue libre, le tout posé bien devant une voix hurlant pour se faire entendre sans trop y croire, ce déséquilibre savant, donc, est bien respecté en façade.

Le nom du groupe pourrait paraître désinvolte de simplicité, mais il est en fait sous d’une honnêteté évidente : une fois que la machine a démarré, elle ne s’arrête plus, et comme il se dégage quelque chose d’enthousiasmant en même temps que de dangereusement tentant dans cette façon d’automatiser l’humain (lire les "Stratégies occultes pour monter un groupe de rock" de Ian Svevonius), le mouvement se répand dans la foule qui s’uniformise docilement en une grande entité mécanique. Adieu individualité, nous ne sommes que les maillons d’une chaîne travaillant unanimement au tassage méticuleux du sol, déployant une énergie au labeur qui pourrait ressusciter Henry Ford si on ne faisait pas gaffe.

Bien que la transe que déclenche Maquina se nourrisse largement de codes d’une musique électronique jouée de façon électrique, elle se passe de l’un de ces gimmicks les plus récurrents : le drop. Il nous a intéressé de noter que le trio ne faisait pas dans l’arrêt-puis-retour-en-force, mais se bornait à accumuler, surenchérir pour nourrir un beat comme s’il ne pouvait s’exposer à la moindre apnée temporaire. C’est assez parlant quant à l’identité du groupe, qui ne recule à aucun moment, unidirectionnel, foncer droit devant. Ainsi le charme n’est jamais rompu, la transe se poursuit comme un long crescendo et le réveil, quand le son cesse, est difficile.

A Place to Bury Strangers

Un live de A Place To Bury Strangers tient plus, côté scène, de la performance que du concert à proprement parler, côté fosse, de l’expérience mystique transverso-temporelle. C’est en tout cas le souvenir que l’on a gardé de leur passage au feu Pointu Festival, l’été dernier – celui d’un groupe nous reconnectant avec l’origine de l’humanité la plus primaire, la transition confuse entre l’animal et l’homme. On arrive devant le groupe en étant tellement persuadé que l’on va revivre un événement majeur de l’Histoire de notre espèce, tel que la découverte du feu ou la chute de Sodome que l’on en vient à être étonné que le trio joue des chansons. Mais oui, c’est vrai que A Place To Bury Strangers c’est un groupe de musique à la base. Si celles-ci avaient été expédiés lors du set estival pour pouvoir envahir la fosse plus rapidement, ici on s’applique à les jouer correctement – c’est à dire n’importe comment.

Attention, la précision est là, le jeu de groupe est solide, rôdé, mais rôdé dans son anarchisme de fond. Les sons de guitare sont méticuleusement détruits à coups de pédales malfaisantes comme on pouvait l’espérer de la part du PDG de Death By Audio. Mais l’interprétation, la présence scénique prennent le pas sur les morceaux ; en réalité on ne saurait dire si c’est leur composition qui ne leur permet pas d’être tout à fait mémorables, ou bien si c’est la fascination physique que le groupe exerce qui nous déconnecte le cerveau.

Parce qu’en sortant de ce concert, on n’a pas spécialement envie d’aller écouter l’album, en revanche on serait étrangement assez chauds de rejoindre une secte. (Au final on se demande si Death By Audio n’en est pas une, cela rendrait cohérent le prix des pédales (et puis sérieux vous avez déjà vu leurs vidéos de présentation de matos ? ils sont clairement illuminés ces gens)).

En même temps, on n’a pas envie de se sentir coupable de n’avoir aucun véritable souvenir d’un morceau de tout le spectacle. Le bris symbolique d’une guitare dès le premier morceau n’a-t-il pas pour effet de jeter la musique au bas de son piédestal et de consacrer violemment l’hégémonie du geste ? La descente de scène des 3 musiciens, leur long set furibard en fosse, ne doit-il pas renverser les hiérarchies établies, attendues ? Dès lors qu’une hiérarchie est attendue, n’est-il pas toujours bon de la mettre au ban, voire de la passer à tabac ? En réduisant la section rythmique à un unique tom basse accompagnant une basse distordue, faisant fi du mélodique parce que la guitare est restée sur scène et que la voix ne fait plus que scander ses incantations filtrés par les effets d’une console démoniaque tripotée en direct par le gourou du soir, le musical est réduit à son empreinte minimale de par l’action du groupe lui-même, pour finalement ne garder que l’expérience, le moment, la communion.

A voir le trio ainsi entouré de son public, au contact, peau à peau, on se dit que la musique n’est rien, que nous sommes tout, que la musique c’est nous et que cet instant est donc tout et rien. Oliver Ackerman a même mis des petites roulettes à sa table, se meut dans l’espace et nous le suivons en une lente procession qui irait jusqu’à la Bonne Mère si elle n’était pas déjà dans la salle avec ses veuch filasses et ses poils de barbe entortillés autour du micro.

C’est donc une perspective assez unique que développe le groupe new-yorkais à l’occasion de cette tournée cataclysmique, celui d’un anti-concert cathartique, une lourde cérémonie religieuse – on peut en tout cas sortir du Makeda en ne gardant que ça. L’excitation que provoque cet instant d’insoumission spectaculaire et héroïque est, elle, parfaitement mémorable. Oh, et entre temps on a finalement réécouté le dernier album, bah les chansons sont très bien en fait.

Crédits photos : Thomas Sanna - toute utilisation interdite sans accord du photographe

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