Servo, monstre attachant

Qu’y a-t-il de plus seyant qu’un groupe qui honore ses engagements ? Après Lair of Gods et Alien, deux premiers albums pleins de promesses, Servo a tenu ces dernières avec Monsters, un troisième long format qui a vu le trio rouennais passer un cap avec brio paru en décembre dernier.

Votre dernier album est sorti en décembre. Comment avez-vous travaillé dessus, dans quel état d’esprit ?

Hugo (batterie) : Pendant le confinement, on avait commencé à bosser des morceaux à distance, j’avais fait des batteries sur Ableton. Ensuite on a fait une résidence dans une maison à la campagne, c’est là qu’on a composé, mis à plat et maquetté la plupart des morceaux de l’album.

Arthur (guitare/chant) :  A ce moment-là, je crois qu’on voulait partir sur un EP. Mais avant l’été 2022, on a recommencé à composer, puis je sais pas, on est allés en studio, on est arrivés à composer tous ensemble et bon, ça a fini en album.

 Pour les précédents albums vous aviez enregistré vous-mêmes, là je crois que ça a changé, c’est ça ? Vous avez enregistré avec quelqu’un d’autre ?

Hugo : Oui, on voulait changer, pour le mix surtout on voulait avoir quelqu’un avec un regard externe au truc, un peu plus de recul par rapport aux morceaux. Je pense que c’était surtout ça l’envie.

Louis (basse) : Ouais, on voulait surtout tout déléguer pour que ça aille plus vite. Parce que le deuxième album on l’avait enregistré coup par coup chez la mère d’Arthur, à chaque fois c’était chaud de trouver les plannings. Là on s’était dit que si on déléguait on allait être obligés de se bloquer deux week-ends pour faire ça tout d’un bloc, la tête dedans. Et pareil pour le mix, le fait de passer par quelqu’un d’autre c’était plus fixe aussi dans les délais, et comme tu disais avoir un peu de recul, un regard neuf sur les morceaux.

 

Et vous pensez que ça vous a apporté quelque chose, créativement, d’avoir cette liberté de ne pas se soucier de ça justement ?

Louis : Je pense que oui. Pendant l’enregistrement, quand quelqu’un t’accompagne et écoute les morceaux avec toi, il peut t’orienter sur certains tricks d’enregistrement que tu n’as pas forcément, ou auxquels tu ne penses pas forcément vu que tu ne penses qu’à ton morceau. Pareil pour le mix, il pense les morceaux différemment donc il peut apporter quelques tricks dans le mix qui sont un peu originaux et qui n’étaient pas forcément prévus.

Arthur : Et puis il prend des décisions surtout. Des décisions que nous on aurait peut-être mis du temps à prendre. Lui au moins il tranche et… On a quand même mis du temps, on a fait énormément de retours pour réussir à avoir ce qu’on voulait mais dès le début, il y avait une patte qu’on aimait bien.

Hugo : Nous sur les morceaux on va s’attacher à des trucs qui ne sont pas forcément nécessaires quand on va mixer, alors que lui il a une vision globale du truc et il va beaucoup moins s’attarder sur des détails je pense.

servo

Photos : Julie Jarosz

Sur les albums précédents, on devinait un gros travail sur les atmosphères. Sur celui-ci, l’écriture a gagné en lisibilité, dans la mélodie, la structure, comme si vous aviez assimilé cet aspect pour le mettre au service d’une composition plus efficace…

Hugo : On est partis sur des formats un peu plus lisibles, plus évidents. Je sais même pas si c’est un truc qu’on a conscientisé nous-même, on n’en a jamais vraiment parlé.

Arthur : Je pense que ça s’est fait assez instinctivement. Après la sortie du deuxième album, on était en train d’essayer de composer un truc et Hugo, tu m’avais dit « ce serait pas mal qu’il y ait des refrains plutôt que les couplets soient suivis de grosses nappes de musique ».

Hugo : Tu veux dire que j’ai inventé le refrain ?

Rires.

Arthur : Tu voulais qu’on écrive des tubes, quoi ! Des tubes de l’été. Je pense que je l’ai conscientisé, et c’est revenu pour le troisième album. Essayer de sortir de ce qu’on faisait habituellement.

 

A l’époque de Lair of gods, vous disiez que vous appréhendiez la voix comme un instrument comme un autre. J’ai l’impression que justement, elle a pris une place bien plus centrale.

Arthur : Pour le coup il y a carrément eu une évolution sur la façon de travailler le chant, et de l’interpréter. A la base, on utilisait beaucoup la répétition, la sonorité des mots, et on essayait de s’inspirer d’une esthétique qui faisait un peu cérémonie incantatoire… Des trucs un peu transcendantaux, je pense à des groupes comme les Dead Skeletons, ou le Jaberwocky Band, un groupe de chez nous. Sur scène, on avait l’impression d’assister à une cérémonie religieuse. Ça m’avait marqué, j’essayais un peu de reproduire ça. Le fond des paroles en soi c’était complètement inventé, dans le style mythologie, religion, machin. Là pour le troisième album, elles sont clairement un peu plus personnelles. Et moins axées sur la répétition, chaque couplet a sa singularité. Il y a eu plus de travail.

Quel rapport vous faites entre la composition et le son ? Vu qu’on parle beaucoup de revivals, on colle souvent des noms de genres du XXème siècle sur des groupes actuels. Est-ce que vous pensez que la texture sonore a pris une importance particulière pour définir l’identité d’un groupe ?

Louis : Ah ben carrément. Maintenant il y a plein de jeux dans la compo qui se font via le son, énormément de larsens qui partent, qui font entièrement partie du morceau. C’est pas juste un larsen aléatoire, c’est travaillé, maîtrisé, ça rentre dans le processus de composition. Pareil pour les paliers, pour jouer sur l’intensité, tu utilises des effets et ça influence carrément la composition et la tournure que le morceau prend.

A : Ouais, puis je pense à des groupes comme Gilla Band, ils ont moins de mélodies que d’autres groupes, ils sont surtout sur le bruit et sur la texture des effets utilisés. C’est un groupe que tu reconnais directement, qui a vraiment sa patte sonore… Donc oui c’est important, et c’était important pour nous surtout, pour la composition.

Votre album s’appelle Monsters. Qu’est-ce que c’est le monstre pour vous ?

Louis : Quelque chose de sauvage.

Arthur : C’est un petit chat qui mange une souris, comme sur la pochette. Il y a plein de façons d’interpréter le monstre, et c’est ça qu’on aime bien. Je pense qu’on voulait aussi suivre une ligne esthétique, l’album précédent s’appelait Alien, là Monsters… On a d’abord écrit le morceau “Day and night monsters”, le premier single, et on voulait un titre d’album en un mot, donc ça nous paraissait tout à fait indiqué. Ça nous plaît, le fait qu’il n’y ait qu’un mot, que ce soit concis. Il y a beaucoup d’interprétations possibles et chacun peut en avoir la sienne.

 

 Le mot a plusieurs connotations, on peut parler de créatures terrifiantes, mais ce qui est monstrueux, ça peut être aussi simplement ce qui s’écarte de la norme. Dans la scène rock, cette idée de marge est essentielle. Est-ce que vous vous sentez monstrueux dans ce paysage-là ?

Arthur : On essaie ! On essaie d’être en marge et de créer quelque chose d’original, dans ce sens-là, on est monstrueux. C’est un super adjectif en vrai. Ça peut être monstrueux dans le sens « wouah, c’est monstrueux ! », ça envoie quoi.

Hugo : Ha, tu dis ça toi ?

(rires)

Arthur : C’est un peu vieux jeu, c’est pas nos darons qui disent ça ?

monsters

 C’est important de faire peur, pour un groupe comme Servo ?

Arthur : Créer une atmosphère qui fait ressentir des émotions comme la peur, et d’autres émotions, c’est important, que le public se retrouve à ressentir des émotions nouvelles quoi. Des choses qui l’impactent et qui le touchent vraiment.

Hugo : La peur c’est pas forcément le but, ça fait mauvaise pub, mais s’il peut sentir des choses en lui c’est cool.

Est-ce que vous avez réfléchi à ce genre de choses avant de commencer à jouer ensemble, ou est-ce que ça a été spontané, de construire cette esthétique-là ?

Arthur : A la base on a à peu près tous les mêmes références, donc la direction qu’on a prise, c’était un peu indiqué ouais.

Hugo : Et après nos changements ont lieu assez naturellement, parce qu’on est tout le temps tout le temps ensemble, on ne fait pas de gros point de “où est-ce qu’on veut aller ?”, juste on suit le mouvement, on le fait sur le moment présent.

Arthur : Ça reste hyper instinctif, c’est pas du tout calculé. On conceptualise pas trop le truc, je crois qu’on préfère laisser la part d’improvisation.

Louis : Si on commence à conceptualiser ça amène trop un objectif qu’on essaie d’atteindre, et au final ça bride, on est moins libres de faire ce qu’on veut. Alors que si on n’en parle pas, juste on fonce sur ce qu’on a envie de faire.

Servo vient tout juste de publier un double clip en collaboration avec d’autres Rouennais, Dye Crap. Une réalisation de Baptiste Magontier, déjà réalisateur de plusieurs clips pour Dye Crap, et frère de Hugo, batteur de Servo.

Un projet audacieux et formidablement réussi développant un scénario commun aux deux œuvres, vu sous deux angles différents. Ce jeu de point de vue, en plus d’être particulièrement prenant, offre un accès direct à la personnalité essentielle de chacun des deux groupes, en particulier lorsque des images identiques résonnent de façon diamétralement opposée en fonction du ton du morceau. Le véner guilleret de Dye Crap amuse et dynamise, le sombre de Servo précipite au fond du gouffre... Pour couronner le tout, un troisième groupe rouennais a droit à son caméo. C’est redoutable, et ça place la barre de la créativité très près du plafond de l’underground français.

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