Pour son onzième anniversaire, plutôt que de miser sur le traditionnel combo clown + château gonflable, le Vortex se la joue enfant turbulent et confie l’animation de sa boum à Facs, brillant trio de Chicago.
10 ans + 1 que le collectif du Vortex se fait le relais de la scène indépendante de Marseille, notamment en recensant chaque mois les concerts de la ville auxquels le chaland peut assister pour moins de dix balles, et en les consignant dans un petit agenda papier dont on trouvera au moins une vingtaine d’exemplaires sous le lit de quiconque fréquente régulièrement l’Intermédiaire, la Salle Gueule ou la Maison Hantée.
Une tâche gigantesque et fondamentale, qui valorise brillamment le travail des groupes, artistes, salles, orgas autochtones. En plus de simplifier grandement la vie du public, de décupler l’exposition de chaque événement et de fédérer une scène entière, c’est une alternative saine, humaine et déjà fonctionnelle aux prétendument obligatoires événements Facebook et autres qui est offerte – pour quand dans un futur idéal on aura tous quitté le bourbier Meta.
En tout cas, ce soir, c’est à Leda Atomica Musique que ça se passe, et pour preuve que le Vortex est inscrit dans le quotidien du public marseillais, celui-ci blinde la petite salle de la rue Saint Pierre : le concert est complet depuis un mois.
La Coupure

L’ouverture de la soirée est confiée à La Coupure, un duo local qui fascine avant même d’avoir commencé à jouer, de par son installation – une demi-batterie, des synthés, des pédales partout, le paradis du geek. Le son se révèle à la hauteur de l’image : le tandem développe des atmosphères épaisses, où des nappes texturées et crépitantes soutiennent des instrumentaux transcendants comme des rituels macabres.
Côté cour, on effleure une guitare saturée dans un geste méticuleusement investi. Côté jardin, on joue du synthé d’une main, et de la batterie de l’autre, grosse caisse frappée à la baguette. Les textes polyglottes sont au choix scandés ou chantés, dans un même souci d’interprétation pleine et incarnée.
A mi-concert, le tempo s’accélère pour développer un long titre kraut de bon aloi, une exception dans un set qui laisse plus volontiers la place à une composition lancinante, comme un éloge mystique de la lenteur. Le son toujours qualitatif du LAM rend bien justice à la transe, l’état second de l’auditeur captif s’atteint sans forcer.
Facs
L’album Still Life in Decay avait été l’un de nos coups de cœur (pas genre mon cœur, mon amour, plus opération à cœur ouvert avec le sang qui pisse partout, mais dont le but reste quand même de nous sauver la vie) de 2023. Facs est revenu cette année avec Wish Defense, un album dont la personnalité est forcément marquée par le changement de line-up : l’un des membres originels, Jonathan Van Herik, vient reprendre la basse laissée par Alianna Kalaba, et l’on s’apercevra au cours de ce live que cela a son importance.
On se sent toujours légitimement chanceux lorsqu’il nous est donné de voir un groupe d’un calibre tel que celui de Facs dans une petite salle intimiste, qui plus est quand il s’agit de la salle où tu vas voir les groupes de tes potes jouer chaque semaine. Cela dit, si on s’attendait à s’en prendre plein la poire dès les premières notes, le charme opère en fait de façon bien plus insidieuse, fine et progressive.
Et c’est là tout l’intérêt de la chose ! Même si une certaine tension assure le fond d’amertume du propos, une ambiance enveloppante se diffuse dans l’espace, à laquelle on ne s’attendait pas : éthérée, moelleuse, agréable, on y est bien et globalement les gens sentent bon. Souscrivant souvent à un minimalisme assumé avec panache, Facs propose une expérience singulière.
Les compositions, et particulièrement celles issues du dernier album largement représenté dans le set du soir, jouent davantage sur la soustraction que sur une surenchère à laquelle on serait plus habitués. Plutôt que de remplir le spectre fréquentiel, et de tout donner à entendre, on mise plutôt sur la suggestion, en laissant délibérément des espaces vides engendrant une forme de frustration, mais permettant à l’imaginaire de chaque individu de travailler à y mettre le sens, l’émotion la plus apte à titiller sa sensibilité. Entre deux saccades mélodiques, ce sont donc les silences qui touchent le plus, qui libèrent les humains de la pesanteur pour quelques instants s’étirant indéfiniment, jusqu’à la nouvelle saccade et la restauration des conditions temps + gravité.
Le référent, également, est inhabituel : plutôt que de se raccrocher à la voix, qui ici semble souvent planer au-dessus des instrumentaux en autonomie totale, on se rend compte que l’on se focalise plus naturellement sur la basse, très répétitive, qui représente un référent immuable auquel lier notre destin pour vivre mille aventures sonores, traverser les paysages saturés que dessine la guitare entre brumes évanescentes et cascades d’effets venant éclabousser nos chaussures Quechua. La batterie de son côté, fait le taf pour garder l’auditoire sur le qui-vive, tape la transe mais l’émaille de fractures et d’asymétries choisies, de sorte à nous laisser constamment aux portes de la rêverie sans jamais nous laisser basculer tout à fait.
On sort donc de ce concert comme Dali sort de sa fameuse sieste : reposé, vif et inspiré, la tête pleine d’images. Le rappel sonne comme la cuillère dans le fond de l’assiette nous ramenant au réel. Les plus braves partent sur les chapeaux de roue pour tenter de voir Pneu à l’Embobineuse – parce que c’est aussi ça une ville en pleine santé artistique, devoir choisir entre plusieurs affiches rivalisant d’excellence un dimanche soir. Un choix cornélien joyeusement soutenu par le Vortex qui, pour son propre anniversaire, a offert un beau cadeau au public marseillais.
Merci à Photophilmars pour les photos, et à Lionel Bec pour les vidéos.