Après cinq longues années de diète forcée, les gourmets de l’underground ont pu de nouveau se gaver d’artistes indé sur tout un Beau Week-End, dans cette grande cantine à rock qu’est Paloma, à Nîmes. Au menu, une programmation riche et copieuse sans être bourrative, une ambiance légère et sucrée, et aussi beaucoup de vitamine D en application cutanée.
Bonjour
Déjà, ouvrir un festival par un groupe qui s’appelle Bonjour, c’est bien poli. C’est encore plus agréable si l'on note que, par la programmation de ce sextet, l’orga prouve qu’en dépit d’un line-up très majoritairement international, il lui tient toujours à cœur de soutenir et promouvoir la scène locale.
Les artistes qui composent ce vaste projet respirent l’expérience et la solidité, à l’instar du chanteur Tim officiant également dans Fabulous Sheep. C’est en tout cas ce que laisse penser la prestation scénique, fluide, et particulièrement bien rodée pour ce qui concerne les rotations, les membres du groupe échangeant leurs places à plusieurs reprises dans une certaine fluidité, amenant sans cesse de la fraîcheur au set.
Le musical est assez agréable, malgré les aspects conventionnels que l’on pourrait attribuer au récent du projet – on en vient souvent à se dire, c’est exactement le type de son qui fonctionne actuellement, peut-être trop exactement ; on aimerait les voir chercher un peu la merde pour sortir du cadre et imposer une personnalité plus profonde.
Les textes eux ne nous convainquent pas vraiment, la prose narrative parlée sujet-verbe-complément confinant à une sorte de premier degré peu exaltant. Pour autant, on ne s’en désintéresse pas, quelque chose accroche l’oreille et attise la curiosité. L’effet gang fonctionne, le collectif est agréable à voir sur scène et attire la sympathie, d’autant que le contact avec le public est engageant. Le groupe est en début de parcours – un début assez éclatant d’ailleurs, qui l’amène déjà sur de sacré-belles scènes – et donne envie de rester à l’affût de la suite.
Projector
Une certaine nonchalance hargneuse se diffuse sur la scène Mosquito : on ne saurait dire si elle est imputable à l’extrême chaleur ou si elle est propre à Projector, mais elle nous sied parfaitement. En dépit du son assez sec, avec une batterie nous semblant sur-compressée et des guitares brouillon (un reproche que l’on fera souvent aux concerts se déroulant sur cette scène), les voix sortent bien et les textures bien contrastées des deux lead donnent de l’âme à une composition bien rangée – pas moins efficace pour autant, dans son registre grungy tranchant.
Au moment exact où l’on écrivait que ce partage du lead et cette diversité de voix en harmonies colorées permettait au groupe de sortir d’une autoroute pixiesesque, le riff de basse de "Tame" se fait entendre. Alors bon, ça nous scie les pattes. Heureusement la reprise est cool, et permet notamment à la bassiste Lucy Sheehan de montrer la beauté crado de sa voix hurlée pourvoyeuse de frissons.
Projector bascule alors sur une phase de set plus brutale, et c’est sans doute ce qu’il fallait pour nous convaincre, entre section rythmique guerrière et riffs de guitare virevoltants et étranges comme de petits insectes mangeurs d’humains. Les tempos restent haletants jusqu’au dernier titre, ficelé comme il faut pour offrir un final incisif.
Tea Eater
C’est avec un enthousiasme certain que l’on retrouve la scène du patio, notre scène préférée des temps jadis, une proposition originale et attachante permettant de voir des artistes internationaux en condition bar de quartier, ras du sol, proximité maximale. Tea Eater est le client idéal : ça tape fort et sec, tout en diffusant bonne humeur et légèreté – la source principale en étant probablement Tarra Thiessen, la guitariste-chanteuse, qui se marre à chaque morceau, manifestement contente d’être là et qui nous fait nous rendre compte que nous aussi, on est contents d’être là. Le son qui sort de son ampli semble être conçu spécialement pour terroriser ses voisins ; elle manipule sa fuzz comme une game boy avec le sourire de l’ado sadique qui écrase ses premiers innocents dans GTA.
Derrière cet accident de personnes permanent, le basse-batterie régale de mises en place originales, celles qui nous surprennent sur le coup mais semblent si évidentes à la seconde d’après. Les mélodies sont plus conventionnelles, mais ça paraîtrait presque nécessaire, une bouée à laquelle se raccrocher dans cet océan noisy si prompt à nous avaler. Notre photographe nous fait judicieusement remarquer que le rendu live est bien plus agressif que l’album, plutôt garage pop, et on est fier de lui parce que c’est très vrai.
Ghostwoman
On attendait le set de Ghostwoman avec impatience, on en sera finalement assez déçu. Là encore, le son pâteux de la Mosquito ne rend pas service à la prestation (ni les ennuis techniques du début de set, quand on entend mieux, en façade, la voix du tech son que celle du chanteur), mais plus encore, l’omniprésence de la séquence de basse nous déplaît. Ça n’est même pas par réactionnisme, avec le discours-type « les séquences c’est naze » (non, ce discours-là on ne le tiendra que demain pour Party Dozen), mais plutôt parce que dès le premier titre, le click inévitablement versé dans les oreilles du duo pour leur permettre de jouer avec la machine, court-circuite leur jeu de façon évidente.
La prestation est étriquée, figée et non non, ça n’est pas l’idée de la transe que l’on veut défendre. Cette rigidité essentielle empêche la prolifération du vivant. Dans un registre assez souvent visité, celui du psychédélisme lourd, on n’a pas l’impression que la proposition puisse amener grand-chose au Grand Tout.
John Maus
Exprès pour nous provoquer, John Maus surenchérit sur la séquence et se présente carrément tout seul sur scène, avec son PC un peu en arrière délivrant la totalité de l’instrumental. Eh ben on vous l’donne en mille : le vivant prolifère. On chope un petit bout de set depuis les balcons de la Grande Salle, et d’ici, la performance est intrigante et ne manque pas d’originalité. Sur des productions gorgées de synthétiseurs 80’s, il se secoue en avant-scène, danse, harangue le public, bat le record d’amplitude de headbang entre deux phrases criées, fait des pompes, parfois.
L’espace est parfaitement rempli précisément parce que le vide est assumé ; en fait, on est tellement obnubilé par l’aspect visuel qu’on en oublierait d’écouter la musique. Ce qui rend les choses compliquées au moment d’écrire un live-report, par exemple.
Knives
Choix cornélien aux alentours de 22h : faut-il aller voir The Murder Capital sur la grande scène extérieure, ou Knives dans le patio ? L’attrait du bar de quartier remporte nos suffrages, et lorsque nous pénétrons dans la courette de Paloma, et apercevons le groupe déjà sur scène, nous savons immédiatement que nous avons fait le bon choix : avant même d’avoir produit le moindre son, le charisme de la formation prend toute la place. Le premier titre plante le décor et fait chavirer la fosse : on est dans un registre de riff lourd soutenant un champ scandé de gangster tatoué.
En première instance, on pense assez inévitablement à une sorte de RATM, mais qui par on-ne-sait-quelle-magie-noire ne serait pas ringard. Au final, la composition est plus complexe, comme les arrangements. Le saxophone en roue libre amène un peu de chaleur en même temps qu’un penchant noisy, histoire de faire passer le rendu au tamis de la modernité, tandis que la frappe massive de la batteuse Erin Cook pourrait plutôt être reliée à la scène hardcore actuelle.
L’aura du frontman Jay Schottlander est magnétique, son débit de parole ciselé parfaitement addictif. Le public ne s’y trompe pas et sera en fusion jusqu’à la dernière note, pour honorer ce que l’on peut décemment appeler la première vraie claque de cette édition.
Robert Finley, Death In Vegas
A la recherche d’un toit pour s’en remettre, nous remontons aux balcons de la Grande Salle, pour voir quelques morceaux de Robert Finley. C’est propre et finement exécuté, mais le registre groovy ne nous parle pas.
Pris dans la file d’attente du bar, nous arrivons en retard devant Death In Vegas, pour constater que des problèmes techniques empêchent la tenue normale du set. De nouveau confrontés à l’absence de prolifération du vivant, on retourne chercher des bières.
Heave, Blood and Die
Alors que l’on prévoyait d’aller voir Enola Gay sur la Mosquito, la file d’attente très réduite du bar de la Grande Salle nous attire à l’intérieur ; le flow de Heave, Blood and Die nous empêchera finalement de regagner le monde du dehors. Dans le registre si sensible du désespéré-fracassant, le groupe scotche une fosse peu garnie mais dans un état de fascination certain, à l’exception notable de notre photographe qui dit quelque chose comme « gneu gneu gneu, la mélodie elle est toujours pareille ».
Alors bon, là encore, il est dans le vrai ; mais c’est précisément le contraste entre cette mélodie monochrome, et la richesse colorée de l’instrumental qui l’accompagne qui nous touche. L’unique note, inamovible, hurlée de préférence, prend mille visages différents en fonction de l’harmonie qui s’enroule autour d’elle, tandis que derrière, des phrases de synthé viennent renforcer cette illusion de progression mélodique en se calant sur son rythme et en remontant les gammes. Ça prolifère de ouf.
Ce synthé, justement, amène une fraîcheur bienvenue à une esthétique que l’on se hasarderait à rapprocher du post-hardcore comme on en voyait dans les années 2010, et précisément réactualise le propos (il faudra voir si ça marche à tous les coups cette histoire : on prend n’importe quel style, on met du synthé, et hop, c’est tout neuf ? Bon c’est un autre sujet, mai si quelqu’un veut bien essayer avec genre le grunge, le rockabilly et la bossa nova on aura déjà quelques éléments de réponse).
L’investissement des musiciens dans la diffusion du sentiment que tout est foutu est total, et le dramatique excessif qui émane de cette prestation nous touche fort. On quitte la Grande Salle avec un agréable sentiment de catharsis accomplie, et on n’est presque pas vexés que le type de la sécurité nous refuse froidement l’accès à l’extérieur pour attraper la fin de set de Enola Gay (qui a également été l’un des highlights de la soirée, à ce qu’on entendra plus tard).
Satisfaits, nous regagnons notre demeure du soir, le parking, où nous attend une tente Quechua à notre image : bien rouge et un peu déchirée, mais qui devrait pouvoir servir encore quelques années si on en prend soin ; au moins jusqu’à demain en tout cas, pour le deuxième jour de ce Beau Week-End d’été.
Crédits photos : Thomas Sanna















































