Beau Week-End, J2 : la question de l’âme

Deuxième jour au Beau Week-End à Nîmes. Après une nuit aride dans une tente balancée sur le sol cahoteux du parking, et une après-midi passée à lutter contre la faune agressive du Gardon, notamment de tout petits poissons qui faisaient que de vouloir nous croquer les pieds, le retour à la chaleur assommante des espaces extérieurs de Paloma nous semble une véritable bénédiction.

 

Ziyad Al Samman

En ouverture de cette seconde journée, Ziyad Al Samman se pointe avec bassiste et claviériste, mais sans batteur, puisque le sien est malade et resté en Angleterre. Il est donc délicat d'avoir le mot juste en traitant de ce concert : on a parlé de l’utilisation importante des séquences pour quelques groupes de la veille, qui s’en sortaient plus ou moins bien ; ici, on sent que le rendu serait différent avec un groupe au complet et on salue le bricolage, vaille que vaille, de la performance. Mais entre la boite à rythmes et l’accumulation de chœurs pré-enregistrés, le rendu manque sérieusement de vivant, en particulier pour un genre se voulant aussi groovy et dansant.

Jan Verstraeten

En voyant le quatuor monter sur la scène Mosquito, on devine très rapidement qu’il ne s’agit pas d’un groupe du coin : quand on est amenés à jouer régulièrement sur des scènes extérieures, l’après-midi, plein soleil, 38 degrés, on ne s’embête que rarement avec des costumes de scène aussi encombrants. Comme ces conditions se présentent sans doute moins souvent en Belgique, Jan Verstraeten fait l’effort, et offre un spectacle visuel original et DIY, tout en tissus, masques de papier géants et tristes et maquillage étonnamment transpi-proof.

Mais il le dit, le compagnon d’à côté : ces idées scéniques jouent presque contre lui, si farfelues qu’elles appellent une composition aventureuse et décalée. Celle-ci, bien qu’agréable, reste plutôt conventionnelle et déçoit de façon inattendue des attentes qu’on n’avait même pas trois minutes plus tôt.

Almost Monday

Sur la grande scène extérieure, on renoue avec une vieille tradition du TINALS : la présence, à chaque édition, d’un groupe mainstream, généralement fruit de l’accouplement contre-nature de l’algorithme de Spotify avec un patron de major. Cette année, c’est Almost Monday, un groupe californien qui correspond parfaitement à l’image que l’on se ferait des groupes californiens si l’on décidait de ne jamais écouter de musique et de regarder, à la place, American Pie 6 et 7 en boucle .

Pour leur concéder une qualité, on doit admettre qu’il s’agit d’un groupe très pratique : aucun cab sur scène, tout en pré-amp et zou direct sur la console, il est très facilement transportable et, grâce à l’omniprésence de doublages de voix pré-enregistrés pour un effet playback optimal, il peut se poser n’importe où avec la garantie d’un rendu bien uniforme. De quoi profiter de tubes de l’été parfaitement lisses et impeccablement formatés en toute situation, festival, baptême, pique-nique au lac.

Plus sérieusement, sans se laisser aller au discours du réac type « gneu gneu le rock c’est les amplis Marshall de 8 mètres de haut », on doit bien admettre que Almost Monday lui donne du grain à moudre, à Jean-Réac : les micro-coupures de la façade se multiplient absurdement, et avec elle donc les instruments qui y sont assujettis, c’est à dire tous sauf la batterie – mais ça nous permet au moins de vérifier que le batteur frappe vraiment et n’est pas en fait une marionnette qu’actionne, par en-dessous, le PDG de Disney (proprio du label Hollywood sur lequel est sorti l’album du groupe l’an dernier, ceci explique cela). De toute façon, tout ne rentrait pas dans le camion : il a fallu choisir entre les cab et l’influenceur présent H24 sur scène pour filmer leurs lunettes de soleil de très près, et entre le son et Tik-Tok, Almost Monday a choisi Tik-Tok.

Andrew Savage

Comme le chanteur de Parquet Courts s’est récemment installé à Marseille, on est super satisfait de dire qu’on soutient la scène locale en se rendant dans le patio où Andrew Savage propose son deuxième set solo du week-end. Le Texan passe son premier été dans la fournaise méridionale, et semble fort incommodé par la chaleur ; l’une des seules adresses au public sera un constat laconique à la limite de l’agressif : « il fait trop chaud ».

Ma maman, en regardant les stories publiées sur le compte Instagram de La Grosse Radio, a trouvé que « le gars qui chantait tout seul manquait d’assurance » ou qu’en tout cas, « un truc n’allait pas ». Il faut dire que le plan en contre-plongée visant ses trous de nez ne lui rendait pas justice. Pour notre part, on a trouvé que l’assurance, ça allait.

Le propos artistique est clair et solide, on comprend en revanche qu’il soit clivant : la prestation n’est pas celle que l’on attend d’un concert guitare-voix folk standard. Les compositions semblent vouloir forcer une sensibilité comme repliée sur elle-même à s’épanouir vers l’extérieur ; ce faisant, elle s’exprime nécessairement avec une brutalité rêche lorsqu’elle sort enfin la tête de sa carapace. C’est touchant comme un câlin bourru, fortement incarné, on est conquis, même si ça ne fait pas l’unanimité. La scène marseillaise est franchement talentueuse.

Ditz

Clairement le groupe le plus attendu de cette édition, il semble que Ditz aussi avait hâte de s’acoquiner avec le public nîmois : avant même d’avoir émis la moindre note, Cal Francis a déjà déserté la Flamingo pour prendre un petit bain de foule, y remonte ensuite pour organiser un wall of death, on n’a manifestement pas de temps à perdre. La volonté d’un contact serré avec le public est évidente, rôle que Cal assure parfaitement ; le temps passé sur les planches sera d’ailleurs plutôt succinct, entre les slams et les parties de grimpette sur la structure de la scène rien que pour le plaisir des yeux.

Le plaisir des oreilles est lui assuré par un groupe groovant sombre et sale ; en fait, on ne savait même pas qu’il était physiquement possible de groover aussi bas, fait glorieux qu’on attribue à un son de basse originaire de l’outre-tombe combiné à un batteur recroquevillé dans une position qui ne plairait pas à son kiné, mais qui lui permet de fracasser son kit en rase-motte sans jamais faiblir.

Sur les côtés, on se répartit le travail entre riffs ciselés d’une part et efforts sincères pour que la guitare sonne plus comme un outil de chantier d’autre part. On aime le chant des marteaux-piqueurs au crépuscule, et l’on perdrait volontiers son regard dans le ciel mystérieux s’il ne fallait pas lutter pour sa survie et celle de sa bière dans cette foule remuante.

Party Dozen

Party Dozen était également pas mal attendu, enfin nous en tout cas on l’attendait, l’album Crime In Australia paru fin 2024 ayant marqué les corps de sa composition furieusement dansante. Pourtant, on ne parvient pas à entrer dans le show. Les titres sont cool comme dans nos souvenirs, le jeu de scène est ultra dynamique et on adore franchement voir Kirsty Tickle hurler dans son saxophone pour se faire entendre, mais l’omniprésence des séquences, oui ENCORE, nous donne juste l’impression d’un groupe incomplet.

Aucun hors-piste, aucune digression ou fantaisie de dernière minute n’est possible. Le playback remplace un, deux instruments dont on ne comprend pas l’absence physique, on se pose des questions d'ordre pratique (s'agit-il d'une logique économique/matérielle ? D'un manque de personnel ? D'une relation artistique fusionnelle exclusive ?) ou métaphysique (pourquoi trouve-t-on qu'un groupe manque d'âme quand l'utilisation des playbacks nous met pourtant en présence de musiciens fantômes ?), ce qu’on n’aurait pas du tout envie de faire pendant ce genre de concerts, et qui en plus n’est pas bien efficace vu qu’on réfléchit à côté de la plaque : c’est juste comme ça qu’c’est.

Et le son trace sa route sans nous attendre, dans une certaine idée de la transe, allégée en humanité, qui ne nous touche pas.

Kadavar

« Leur jeu de scène est tellement cringe que j’aimerais les détester, mais en fait c’est bien ». Cette phrase que l’on entend au hasard de la fosse résume avec grande pertinence la prestation de Kadavar, et pourrait même synthétiser l’histoire entière du glam rock si on devait l’expliquer à quelqu’un qui n’aurait que quelques secondes de temps de concentration. Musicalement, on a l’impression d’avoir affaire aux hardos basiques, mais la composition est bien plus fleurie qu’il n’y paraît, notamment celle du dernier album et de son virage pop étonnant, bien représenté dans la setlist ; tout aussi chelou à vivre sur scène qu’en studio, d’ailleurs.

L’exécution technique est limpide, si précise qu’elle en est fascinante ; « c’est la huitième fois que je les vois » entend-on encore, et on comprend pourquoi. L’interprétation des morceaux est incarnée et touchante, et si les solos de guitare semi-épiques en contre-point d’unissons traditionnellement sabbathiens sont bien présents, la voix, elle, s’écarte des codes lyriques qui peuvent agacer dans ces registres heavy pour s’en aller tisser de la mélodie simple, humble, efficace, c’est sans doute pour ça qu’on est pris au piège.

Pour ça, et pour la gestuelle moelleuse que l’on nous sert, entre la parade amoureuse de flamant rose exécutée par le bassiste, fort à propos sur la flamingo, ou les grands gestes de géant élégant du batteur charismatique Christoph Bartelt.

Hotwax

En clôture du festival, le trio britannique Hotwax monte sur la petite scène Mosquito. Les problèmes techniques ont été légion sur cette scène tout au long du week-end ; ils atteignent ici leur paroxysme : on perd carrément la façade. En fosse, chacun y va de sa petite explication : pour certains, il s’agit d’une coupure de courant, les stands alentours en ont subi plusieurs hier et aujourd’hui, pour d’autres, le système son utilisé, celui du club de Paloma, se serait révélé insuffisant, d’autres encore disent que c’est le carburateur ; c’est pas bien clair.

Tout ce qu’on sait, c’est que le groupe fait preuve d’un courage qui force le respect de tout le public, et que le tech son a un bon cardio. Entre les feintes de retour à la normale, on déploie toute la panoplie des premier secours, ces gestes qui sauvent une soirée : solos de batterie, tentative de prestation uniquement au son de plateau, harangue de la foule sans peur du vide, bourrage de gueule viticole dramatique, tout y passe, jusqu’au retournement des retours vers la fosse pour l’abreuver du minimum vital de décibels.

Tout ça, fait dans une bonne humeur excessive, plutôt qu’un agacement qu’on aurait pu trouver légitime. Le son finit par revenir dans la façade, dévoilant toute la rugosité de l’esthétique garage de Hotwax ; la joie du retour de l’être aimé décuple l’enthousiasme du public et le trio s’offre une fin de set dantesque, courte mais cathartique. On en sort avec l’impression d’avoir vécu un vrai moment, unique, rare.

Bilan

Ainsi s’achève le Beau Week-End, dérivé du légendaire TINALS, qui fut parfaitement conforme aux promesses faites à l’annonce de l’événement, mais également au message qu’avait posté Come On People lorsque l’association organisatrice annonçait la mise en pause de celui-ci il y a quelques années : il s’agissait de revenir à un festival de plus petite ampleur, moins de monde, moins de scènes, moins de têtes d’affiche. On nous certifiait une programmation pleine de découvertes, de pépites peu médiatisées, c’est un pari qui, en plus de nous sembler profondément légitime et nécessaire, paraît tout à fait réussi.

Alors, on n’aura pas subi de claque monumentale cette année, et comme on le constate sur le ton ronchon du début de cet article, le deuxième jour nous aura moins séduit que le premier. Le point commun à nos désamours,  c'est cette surabondance de séquences prémâchées, on l'aura dit suffisamment, qui nous coupent bien souvent de la proximité directe de l'artiste, soit précisément le les sensations que l'on recherche en se rendant dans ce type de festivals. On veut accéder aux âmes vives, sur le vif, non aux fantômes des prises studio, et autres esprits damnés, coincés dans Ableton pour toujours !

Le niveau reste haut quand même. Et le plus important : plutôt que la satiété légèrement nauséeuse qu’amènent les gros festivals industriels de trois ou quatre jours, dont on ressort avec l’envie de vivre la semaine suivante la tête entre deux oreillers, le Beau Week-End nous libère avec la volonté d’aller fouiner, approfondir, se perdre sur Bandcamp, écouter tous les albums de Heave, Blood and Die, rechoper Ditz quelque part, peut-être en intérieur cette fois, recroiser la route de Knives, Tea Eater, Projector, écouter tout le catalogue de leurs labels respectifs, peut-être même voir un set de Hotwax en entier… Bref, plutôt que de nous assommer, le Beau Week-End réanime un enthousiasme curieux de mélomane des bas-fonds, une dynamique rare prouvant une nouvelle fois que le TINALS est un monde à part, et précieux.

 

Crédits photos : Thomas Sanna



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