C'est rare de trouver un groupe qui chante en français avec classe ! Mais quand on en trouve un, ça fait du bien. Forcément, les piliers du rock étant anglo-saxons (pas tant la faute aux musiciens qu'aux maisons de disques qui ont à l'époque préféré se contenter de distribuer les valeurs sûres plutôt que de produire les artistes locaux), notre oreille est assez formatée en la matière. Reste que le français est une très belle langue, et qu'il est dommage que peu de groupes aient cherché à l'exploiter. Forcément, cela demande une musicalité adaptée, ce que dans des genres très différents Nina Haggen, Rammstein ou Noir Désir ont parfaitement compris. Pas la peine de singer la scène anglo-saxonne et de se débrouiller pour y coller du français tant bien que mal, il vaut mieux écrire directement une musique pensée pour l'utilisation du français (ou de l'espagnol, du chinois, du russe etc). L'effort en vaut la peine, car si la démarche est difficile, elle peut permettre d'arriver à un projet artistique véritablement singulier.
Singulier, particulier, la musique de L'ombre du 8 l'est assurément. Le groupe affiche la couleur d'entrée en précisant que le choix des mots est particulièrement important dans leur démarche de composition. C'est indéniable, le travail sur les textes est particulier, refusant la rime facile et cherchant surtout un aspect poétique. Mais de la poésie de l'apocalypse. Les thèmes comme les ambiances sont lourds et sombres. Ca doit pas respirer la joie tous les jours dans le clan L'ombre du 8 ! D'autant que la voix se rapproche d'un Robert Smith à l'ancienne qui aurait arrêté les antidépresseurs. Le morceau-titre et son rythme entre deux rappellent véritablement les vagues déchaînées (cette montée en puissance finale !). Pas de doute, c'est du rock alternatif de haute volée, les textes sont tour à tour graves ou lâchés de façon plus désinvolte selon l'ambiance ("A l'essentiel"). Mais cet équilibre se retrouve gâté par le jusqu'au boutisme du groupe, admirable mais qui ne plaira pas à tout le monde.
Car à force de rythmes lourds, de textes déchirants sur des ambiances désespérées (ou pas loin), l'auditeur a intérêt à s'accrocher fort au mât pour ne pas chavirer ! Certes, l'ombre du 8 n'est pas complètement suicidaire et sait ménager de brèves accalmies (le final de "Transatlantique"), mais que celles-ci sont fugaces ! Le reste du temps, on aura beau scruter l'horizon, les nuages restent terriblement menaçants, prêts à se déchaîner à chaque instant. L'intransigeance artistique force le respect, mais pour le mélomane, pas toujours évident de ne pas se laisser emporter par l'aspect répétitif qui émane de l'album. C'est sûr qu'un titre ayant pour titre "L'orage", on comprend qu'il finisse sur une explosion et un chant qui une fois de plus devient hurlement, tout comme l'aspect aride sur "Le désert" (non, ça ne parle pas que des éléments sur tout l'album), mais pourquoi tant de haine tout le reste du temps ?
Si l'investissement artistique est admirable, l'album en devient trop monochrome pour que ce travail puisse être apprécié à sa juste valeur. Qui plus est, le groupe sait parfaitement faire autre chose quand ça lui chante : après un intermède justement intitulé "Un nouveau départ", L'ombre du 8, sans se dénaturer, propose trois compositions plus variées pour finir l'album. "Elle est l'ombre", si elle reste sombre, propose néanmoins un break plus enjoué, et surtout à "Montréal", une grande réussite, qui passe de dramatique à touchante, tout en conservant la tonalité particulière du groupe. Comme quoi il y avait sans doute la possibilité de faire autre chose, mais ce n'était certainement pas la volonté des musiciens, qui ont peut-être un peu trop privilégié leur projet artistique au détriment de la musicalité de l'ensemble. Un album qui, dans tous les cas, ne laissera personne indifférent.
6,5/10
