Žen – Jantar

C’est en découvrant le rock atypique et ingénieux de Žen que m’a sauté à la conscience un scandale aussi flagrant que le sexisme dans la musique : L’hégémonie du rock anglophone dans la production et surtout sa visibilité, la reconnaissance mondiale de ses talents, sa starisation absolue en quelque sorte.

Creusons un peu. Qui peut passer à côté de la dernière production de U2, Coldplay, Muse et consorts (pas de nanas à l’horizon hein…), de celle de feu Bowie, dont la mort a fait l’objet d’un deuil quasi mondial !

En France, nous avons bien sur nos stars ok. Comme dans chaque autre pays. Mais n’importe lequel de ceux-ci, auront-il une chance de devenir des monuments internationaux, des monstres sacrés adoubés par la planète entière ou presque comme nombre de groupes ou de musiciens Américains du nord + Canadiens ou Britanniques + Irlandais du sud ?

Vous connaissez la réponse of course !
 


Pour continuer sur notre lancée, avez-vous un moyen facile de connaitre les groupes pop/rock les plus réputés (et je ne parle pas du tout de folklore, on est d’accord) des pays censés être nos partenaires Européens ?
Quelle est le groupe préféré des Polonais par exemple ? Le savez-vous ? Les stars Norvégiennes ? Le carton Portugais ?
A moins d’être issu de ces états membres ou d’aller souvent dans le coin, quelle chance avez-vous de découvrir les créations et les talents hors langue anglaise ?

Car oui vous pouvez en citer quelques-uns : Bjork l’Islandaise, Scorpions les allemands,  A-ha les Norvégiens ou Abba les Suédois pour les plus vieux… Bien sûr ils ont traversé leurs frontières, mais ils ont abandonnés leur langue dans la promenade...

Reste quelques albums de Tokyo Hotel, quelques titres de Nina Hagen, le "99 luft ballons" de Nena que d’aucun ont essayé de chanter avec plus ou moins de bonheur en langue originale (j'ai des dossiers !). Ce sont des allemands pour la pluparts qui ont réussi à garder leur identité linguistique. Mais c’est tellement anecdotique comparé aux kilotonnes de morceaux en anglais, bons ou mauvais ce n’est pas le propos, qu’on se tape en une journée de radio, fut-elle militante et excellente (love).

Bien sûr il s’agit d’une histoire de langue plus ou moins audible pour nos cerveaux formatés par l’industrie mondialisée unilatéralement par la langue anglaise. Mais pas que… !
Oui nous avons d’autres batailles à mener bien plus importante que celle que je semble vouloir livrer ici (quoique…). Pourtant rien dans mon intention ne ressemble de près ou de loin à une guéguerre musico-nationaliste… Juste une constatation triste avec un peu de colère quand même que nous passons peut-être à coté de perles plus que rares et que notre manque de curiosité ou notre propension à être des moutons de panurges, (sorry, some panurge’s sheeps) nous empêche d'avoir les oreilles vraiment ouvertes.

Parce que par exemple, si vous fermez les frontières de vos oreilles à des langues que vous ne comprenez pas, vous allez passer à côté de Žen. Peu importe ce que veulent dire les paroles… On s’en fou, c’est du bon et nous ne comprenons de toute façon pas, pour la plupart d’entre nous, la moitié au mieux, de ce que les anglais chantent et parfois, il ne vaudrait mieux pas d’ailleurs !

Bref, poufpouf….

Voilà l’effet que fait l’écoute immersive du groupe Žen (prononcer djen pour avoir la classe et savoir dire un mot de Croate) et de son 2ème album : Jantar
 


Il a été composé dans un squat célèbre de Zagreb où le groupe a élu domicile et lieu de répétition.

Passer une après-midi avec Jantar (qui veut dire « ambre » mais on s'en fout aussi) de Žen en boucle, c’est vouloir partager cette expérience indicible de reconnaissance de l’Autre, c’est la rencontre du 3ème type et la découverte d’un langage commun parce qu’universel : La surprise, l’intérêt puis la plongée en profondeur, comme dans un bain à parfaite température dans une mer inconnue, le plaisir, le recommencement.

Žen est un trio, basse – batterie – guitare, avec des synthés en guise d’accompagnateurs supplémentaires et touches électro, complété en live par une vidéo-Jockey.

Dès l’intro du premier morceau de Jantar, Žen nous annonce la couleur. Le son de la guitare est sale, plein, distordu, seul. La batterie qui le rejoint ressemble à un roulement de tambour accompagnant le condamné sur le chemin de la guillotine. Lancinant, sombre et hypnotique presque angoissant. La mélodie s’immisce dans cet univers sombre. Moment de répit, une voix sans genre nous parle, mais la batterie reprend, puis la voix, et ainsi de suite jusqu’à ce que des chœurs nous emmène ailleurs. Multiples sensations, chaque partition se liant à l’autre, on sent la force, la persuasion, l’affirmation et il ne manque pas grand-chose pour qu’on scande sans comprendre : "Ja ću biti bor".

Pas besoin d’avoir fait croate 1ère langue pour comprendre de quoi "Igra protona, elektrona i neutrona" veut se faire l’écho. D’ailleurs pas de mot d’aucune langue dans ce morceau. Les machines tapissent le fond du morceau et la guitare scande une petite mélodie à l’envie. La rythmique se tord, bombardant cette petite chanson pour la faire plier jusqu’à son harmonie toute mécanique.
C’est intelligent et habile jusqu’au trois quart du morceau ou une espèce de passage mi folklore, mi fête au village, m’a jeté dans un méandre d’interrogation… Mais pourquoi ? Comment avoir dénaturé de la sorte un morceau qui aurait été génial sans ces 15 secondes ? Quel dommage !
Après cette douche glacée surement explicable par le groupe la fin du morceau est excellente comme le début. Je me suis surprise à me demander si je n’allais pas passer par un logiciel connu pour couper ces quelques secondes incompréhensibles pour moi… Peut-être me direz-vous ce que vous en pensez ? car le morceau est en vidéo ci dessous :

"Žal" le 3ème morceau est lui aussi cassé en 3 parties. Une première ou la guitare tricote sur une rythmique inventive qui donne un aspect un peu vintage au morceau, un peu à la subculture mods britannique des années 50/60 (je n’ai pas d’autre référence et surtout aucune sur la pop croate de ces années là !). Puis après une cassure dans la structure, une deuxième partie ou le chant se pose sur une mélodie et une rythmique très pop,  comme une supplique lancée à l’avant d’un bateau, comment dit-on « je suis le roi du monde » en croate ? C’est touchant… Mais Žen ne nous autorise pas à rester une fois de plus dans la zone de confort qu’il nous avait construit, on retourne sur le gimmick un peu amer, un peu cru du départ… Et vous savez quoi ? On se laisse faire et c’est bon !

On retrouve cet aspect un peu vintage dans le son des nappes synthétiques du morceau suivant : "Slava raškaj". C’est une promenade longuement instrumentale toujours avec cette guitare qui éclaire un chemin auquel tente d’échapper la rythmique mais comme dans un jeu amoureux, elle adore se laisser rattraper pour créer une belle harmonie. La voix peut alors amener l’élément qui finira de nous faire déposer les armes et nous laisser aller à la découverte presque initiatique.

"Išao sam negdje, bila sam svugdje", un autre morceau tout en rupture. D’abord langoureux, avec cette voix sans genre, parfois fille, parfois garçon. Deux voix peut-être ? Celle-ci nous parle longuement au creux de l’oreille des mots qui pourraient apaiser pendant que la guitare chante de son côté une mélodie façon Cure des années 80 mixé de celle du « Je suis venu te dire…» du génial Gainsbourg. On se laisse bercer, mélancolique, quand, au détour d’un silence, un long crescendo nous emmène jusqu’à la résolution, la libération, jubilatoire, puissant orage post-rock comme ils disent dans la bio.

Cette fois, on l’a compris, la signature de  Žen c’est cette mise en balance d’ambiances entre clair-obscur, amer-sucré, chaud-froid, le tout sans transition, abruptement, en rupture soit totale, soit rythmique, soit mélodique et finalement, on y trouve son compte.

"Tvoje šape ostavljaju tragove" est presque une valse à la mode transcendantale qui se transformerait en oraison en unissant basse et guitare distordue pour un effet des plus réjouissants. 

"Kraj poÄetak" relèverait quant à lui de la ritournelle enfantine se mâtinant de colère avec la batterie qui, pendant que les voix montent en volume mais baissent en tonalité, tape en arythmie, jusqu’au combat final afin de retrouver dans la mélodie à la guitare ce gout d’enfance chanté à l’unisson.

"Slavenska bajka" est le dernier morceau de cet album et c’est encore une surprise. Il est un savant mix entre un "Regatta de blanc" de Police, "Once in a lifetime" des Talkings heads et "Shake off the ghosts"des Simple minds, le tout mit dans un shakeur des années 2010 aussi exotique que reconnu.

Comme l’alphabet croate par rapport au notre, la musique de Žen a les même notes, les même accords mais rajoute des petites touches inconnues et étonnantes qui pourraient devenir rédhibitoires aux coincés du bulbe qui ne supporteraient pas de se laisser aller à ne pas comprendre les mots et ne pas s’ouvrir à cette dose même homéopathique d’inconnu.

Comme un tableau impressionniste, Žen dépeint ses sentiments, ses réflexions traduites en notes et rythmes, ses interrogations écologiques et féministes car Žen est un groupe  100% féminin. Auriez-vous lu cette chronique différemment si vous l’aviez su ?
 

 

Le line up
Eva Badanjak - Guitare, Voix, Claviers.
Sara Ercegović - Drums, Voix, Claviers.
Ivona Ivković - Basse, Voix, Claviers.
Tanja Minarik – VJ


Žen, groupe de rock libre voire libertaire, Croate chantant dans sa langue d’origine, engagé du côté écologique et 100% féminin. Jantar album sorti mi-février ! DoÄ‘i: zapoÄnimo !

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NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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