Radiohead – A Moon Shaped Pool

Lancé avec une habile communication appuyée par un teasing silencieux qui a paradoxalement fait beaucoup de bruit, Radiohead nous gratifie d’une nouvelle pépite, 5 ans après The King Of Limbs.

Aussi encensé que critiqué, chaque sortie d’un album de Radiohead est un évènement tant le groupe porté par Thom Yorke ne laisse personne indifférent. C’est ainsi que le 8 mai dernier, le quintette d’Oxford qui chantait pourtant "No Surprises" fit trembler Internet d’excitation et de surprise en dévoilant A Moon Shaped Pool.
Et quelle surprise !

radiohead a moon shaped pool

Ce neuvième album, qui sort donc cinq ans après The King Of Limbs, n’a absolument rien à voir avec son prédécesseur. Lorsque que celui-ci avait été jugé peut-être un peu trop conceptuel pour certains, A Moon Shaped Pool a au contraire de grandes chances de plaire au plus grand nombre. Honnêtes, intimistes, les 11 chansons classées par ordre alphabétique qui composent l’opus sont d’une justesse et d’une pureté saisissantes.

On trouve dans A Moon Shaped Pool ce que Radiohead sait faire de mieux. Sur les 11 titres, 7 étaient déjà bien connu des fans puisque joués en live par le passé. Sont présents également richesse et complexité des compositions qui ont fait et qui font la singularité des cinq anglais. Surtout que pour l’occasion, le groupe s’est entouré du London Contemporary Orchestra pour une section à cordes vraiment hors norme.

Les deux premiers morceaux sortis, "Burn The Witch" et "Daydreaming" révèlent bien l’éclat de tout l’album. ”¨Celui-ci s’ouvre donc avec le fameux morceau "Burn The Witch", qui a servi de trailer. On ressent dès les premières notes de violons la collaboration de l’inventif Johnny Greenwood avec le London Contemporary Orchestra. Le clip animé en stop motion rappelle les personnages de Nick Park (Wallace et Gromit, Chicken Run…). Le morceau, très intense, évoquerait le sujet des migrants. Bref, un trailer qui annonçait que du bon pour la suite.

Quant à "Daydreaming", deuxième chanson de l’album et deuxième chanson a être sortie, nous replonge dans une ambiance propre à Radiohead : atmosphère oppressante, dramatique, même cauchemardesque. Le clip montre un Thom Yorke vieilli et terriblement touchant, le tout réalisé par Paul Thomas Anderson (Johnny Greenwood, guitariste-clavieriste de Radiohead avait d’ailleurs réalisé les bandes originales de certains de ses films dont le plutôt bon Inherent Vice par exemple). Long, hypnotisant, presque minimaliste, le morceau rappelle une expérimentation à la Pink Floyd. Rien que ça.

Tout au long de l’album, cette sensation de naviguer en eaux troubles nous envahit, entre rêve et cauchemar, comme dans "Dercks Dark" qui n’est finalement que 4 minutes 41 de pure et lourde tension, appuyée par un piano pesant.  ”¨Le piano a d’ailleurs une place vraiment majeure dans tout cet album, nous berçant mais nous oppressant, nous plongeant tour à tour dans des sentiments d’euphorie et de confusion très déroutants.

Les autres instruments ne sont pas non plus en reste, "Glass Eye" et "Tinker Tailor Soldier Sailor Rich Man Poor Man Beggar Man Thief" (titre tellement long qu'il faut être champion d'apnée pour le dire d'un coup) sont enveloppés par des violons poignants qui confèrent au tout une atmosphère mélancolique et dramatique assez incroyable.

Même si le piano est presque omniprésent et que les violons habillent magistralement les morceaux, les guitares n’ont pas été abandonnées pour autant. Dans The King of Limbs, on a eu droit à beaucoup d’électro expérimentale, qui avait d’ailleurs fait grincer des dents pas mal de fans. Ici on retrouve de la guitare électrique. Retour en arrière du groupe vers ce qu’ils faisaient dans les 90’s ? Eh bien en fait, non, pas du tout, et "identikit" avec ses guitares lancinantes en est un bon exemple. C’est aussi ça Radiohead, sans cesse se renouveler, aller de l’avant et ne jamais s’appuyer sur ses acquis.

La guitare acoustique trouve aussi sa petite place, sur "Desert Island Disk" et "The Numbers", qui sont de belles ballades acoustiques folk. On sent une influence du grand Nick Drake, ce qui rajoute encore plus de saveur à cet album déjà cuisiné à la perfection.

Last but not least, pour le côté « instruments », on est forcés de mentionner la voix de Thom Yorke qui porte le tout de la meilleure manière qui soit. Le chanteur dépressif alterne entre murmures, comme si il chantait pour lui même, et gémissements/articulation hasardeuse des paroles, ce qui renforce le côté déjà bien torturé de l’album.
Ici, même la personne la moins expressive du monde (un mec de la garde royale britannique par exemple) pleure instantanément en entendant la voix de Thom Yorke. Fragilité et pourtant grande maîtrise et puissance dans la voix, c’est aussi ce qui fait de Radiohead un groupe si adulé aujourd’hui (pas pour rien que les places pour le concert aux Nuits de Fourvière à Lyon par exemple ont été vendues en 2 minutes chrono). 

thom yorke daydreaming

Des petites réminiscences bien sympathiques d’OK computer sont aussi perceptibles sur A Moon Shaped Pool. Le frissonnant morceau "Present Tense" dans sa construction et sa mélodie rappelle "Paranoid Android". C’est très agréable, parce que qu’on se le dise, OK Computer est un album incroyable et "Paranoid Android" un petit bijou dans sa composition.

Comme toutes les bonnes choses ont malheureusement une fin, il arrive un moment où l’album doit se terminer. Et quelle autre chanson que "True Love Waits" pouvait clore le ballet ? Je vous le demande (c’est une simple question rhétorique, puisqu’en fait la réponse est : absolument aucune). ”¨
"True Love Waits", cette chanson qu’ils jouaient déjà en live depuis 1995. "True Love Waits", cette chanson que l’on attendait tous. "True Love Waits", cette chanson que l’on a bien fait d’attendre, car ici, la simple guitare acoustique a été remplacée par de l’écho et du piano très ambient, donnant encore plus de relief et de profondeur que la chanson initiale n’en avait déjà. Tout cet ajout de nuances porte encore mieux les paroles, histoire de nous achever définitivement sous le poids de nos émotions qui deviennent presque trop lourdes à porter. Les derniers mots de Thom Yorke sur cet album seront « Don’t Leave » (« ne pars pas » pour les moins bilingues d’entre nous). Et c’est tout à fait ce que l’on ressent à la fin de la chanson et de l’album : on a pas vraiment envie de partir et de reprendre nos petites vies tellement on s’est mangé une claque monumentale en écoutant A Moon Shaped Pool (et j’exagère presque pas).

L’album se finit donc de la meilleure mais aussi de la pire manière qu’il soit. Meilleure car il ne pouvait pas y avoir plus parfait comme final que "True Love Waits"; pire car lorsque cette dernière chanson se termine, on se sent impuissant, vulnérable et noyé sous un torrent d’émotions.

radiohead a moon shaped pool

Ce neuvième essai de Radiohead dépasse le stade du simple album, c’est une véritable invitation à la poésie, tant au niveau musical, que des paroles ou des clips déjà sortis.
Alors oui, les haters diront qu’au final l’album n’est là que pour satisfaire les fans, puisque beaucoup plus consensuel et intelligible que certains de ses prédécesseurs, et puisqu’en plus il reprend des morceaux déjà joués en live dans le passé. Pourtant, si A Moon Shaped Pool satisfait effectivement les fans, il serait trop réducteur de le reléguer à un simple disque de complaisance. ”¨Parce qu’en vérité, c’est un chef-d’oeuvre. Rien n’est à jeter, tout est maîtrisé et d’une minutie remarquable.
Très prenant, émouvant, insaisissable mais pourtant super accessible, Radiohead a su encore une fois trouver la recette parfaite pour rendre son nouvel album culte.    

Crédit photo: Mark Metcalfe, screenshot clip daydreaming 

 

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NOTE DE L'AUTEUR : 10 / 10



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