Rencontre avec Grand Blanc au Cabaret Vert

Au cœur du Cabaret Vert de Charleville-Mézières, tant pis si l'on doit renoncer aux chemises chamarrées de Feu! Chatterton pour ça, nous avons saisi l'opportunité de nous entretenir avec les musiciens de Grand Blanc. Seulement vingt minutes après leur sortie de scène, où les Metzins ont conquis à grand bruit le public carolomacérien (ça se dit comme ça, j'ai regardé sur Wikipédia), pas le temps de souffler, on les attrape, on les questionne, on les titille, on les harcèle, on est comme ça à La Grosse Radio, pas de répit, on les travaille au corps.

Un quart d'heure nous est accordé ; c'est qu'on est pas les seuls à vouloir leur parler. Un quart d'heure, c'est outrageusement court ; mais ça suffit amplement à Benoît (guitare/chant), Camille (claviers/chant), Vincent (basse) et Luc (batterie)  pour dire des tas de choses censées, démontrer la cohérence de leur démarche, en bref, nous ouvrir la trappe donnant sur leur monde souterrain pour nous en laisser pré-tâter la profondeur. Compte-rendu.

Grand Blanc, Cabaret Vert, Mémoires Vives, 2016, surprise party

La Grosse Radio : Je vous ai découvert il y a un an à peu près, au festival This Is Not A Love Song de Nîmes. A l'époque, vous veniez de sortir votre premier EP...

Benoît : Ouais, c'était la première fois qu'on jouait "Surprise Party", morceau qui allait devenir le premier single de notre album. On n'avait pas dit à Nathan qu'on allait la jouer, il avait pété un câble... Un surprise pour notre ingé son, il a pas kiffé. (rires)

Vous êtes allé vite, avec à peine un EP, jouer déjà pour des festivals assez conséquents... Comment vous avez fait ?

Ça on sait pas trop, on a fait l'EP, on a rencontré un label assez vite, toujours le nôtre, Entreprise, avec qui on s'entend bien, et assez vite un tourneur. On a essayé de faire de notre mieux en ce qui nous concernait, c'est à dire faire des morceaux, et les jouer... Mais après pour avoir juste un EP, c'est pas un truc si hors du commun que ça, tu vois Last Train, ils se tapent une tournée de cinglé et ils ont même pas d'EP, je crois qu'ils ont trois morceaux sur internet. On est juste dans une situation qui change, quoi, dans la musique. Et on est très contents.

A Nîmes, vous aviez dégagé une sorte de candeur sur scène, touchante, on sentait vraiment votre joie d'être là. Et aujourd'hui, le concert était différent, vous avez une présence beaucoup plus affirmée sur scène. Qu'est-ce qui s'est passé ?

Camille : Je crois que c'est les concerts qu'on a fait qui nous permettent de trouver de plus en plus notre place, à force d'en faire et d'en faire, t'as plus d'aisance, t'as moins peur du public qui est en face de toi, d'aller le chercher... On revient de loin, avant on regardait nos pieds, les premiers concerts, il y avait genre deux minutes entre chaque chanson, on s'excusait à moitié d'être là.

Luc : Puis tu commences à trouver une redondance dans les réactions du public en fonction des chansons, des fois on a la même réaction au même moment sur une chanson, et on se dit, tiens, là on peut faire quelque chose, trouver nos mouvements, s'adapter...

Benoît : Oui et puis tu découvres ta musique en fait, tu découvres comment ton album vit. C'est cool, à force de le faire tourner devant le public, eh ben le plein sens de cet album pour nous, on ne le découvre que maintenant. Mais bon, on espère que ça se voit toujours qu'on est content d'être là quoi.

Grand Blanc, Cabaret Vert, Mémoires Vives, 2016, surprise party

Votre premier EP était assez froid... J'ai lu dans une autre interview que aviez voulu, pour l'album, partir sur des choses plus joyeuses. Et maintenant, en concert, il y a une énergie rock, une rage qui apparaissent. Vous avez trois aspects différents...

Non, l'énergie je crois que c'est le lieu où la noirceur et la positivité se rencontrent. On essaye de faire une musique la plus vivante possible, dans le sens où l'on veut que ce soit le plus fidèle à la vie en entier. Tu vois c'est chiant quand tu fais une musique joyeuse ou triste, il y a forcément un peu de méthode Coué. Nous on arrive pas à faire soit de la musique pour rendre triste, soit pour rendre heureux. On se sent trop premier degré dans la musique qui rend triste, trop couillon ou trop mercantile dans la musique qui fait juste kiffer. Il me semble que la vie de quelqu'un, c'est fait des deux, et que le vrai truc à trouver, c'est un équilibre. Et nous notre équilibre, c'est vrai qu'il est pas très stable, pas très contemplatif, c'est dans le mouvement en fait. Tu vois, la rage de vivre, tu peux l'utiliser dans de bonnes ou de mauvaises situations. Ce qu'on voulait faire, c'était pas quelque chose de moins froid ou moins triste, on voulait donner un autre sens à cette tristesse ou à cette froideur, parce qu'on se rendait compte que ça passait pour vachement premier degré ce qu'on faisait, alors que non, on essaie de donner une forme à notre tristesse. C'est une forme, c'est fake, tu vois, c'est un tableau. Du coup, on a mis un peu de second degré, un peu de distance, et dans ce petit intervalle, on a vu qu'on pouvait élargir les épaules, respirer, sauter, se battre, s'embrasser. Et on adore cet espace.

Les artistes dont vous vous revendiquez, rien que sur la biographie de votre page facebook, Bashung, Cure, Kraftwerk, et puis les sons que vous utilisez, ça évoque forcément la période post-punk. Est-ce que c'est réfléchi, cette idée de se tourner un peu vers l'arrière pour faire du nouveau, ou bien c'est purement instinctif ?

Camille : Ben, cette biographie dont tu parles, en fait elle date de la sortie de l'EP. C'est un truc qu'on assume toujours, mais on a grandi en un an. Je crois qu'avant on ne savait pas trop où on allait, et c'est rassurant d'avoir des pères, quoi, de se dire, je sais où je vais, et de mettre des noms sur les choses. En grandissant, notamment pour l'album, on s'est un peu plus trouvés nous-même, parce qu'on a fait des concerts, parce qu'on avait fait beaucoup plus de trucs ensemble, et maintenant on arrive plus trop à qualifier notre musique, à se dire oui, c'est de la cold wave, machin... En fait, c'est nous, quoi, et on trouve ça un peu mieux comme ça. Dans l'album il y a des choses actuelles, on écoute de tout parce qu'on a grandi avec internet, on a téléchargé plein de trucs quand on avait quinze piges, jusqu'à aujourd'hui, de la techno, du hip-hop, tout quoi. Et ça se retrouve aussi dans notre musique. Y'a certes, ce ciment, qui est le début de Grand Blanc, on écoutait vachement de cold wave, et de new wave, et on s'est dit, wouah, c'est des gens qui chantent en français, nous aussi c'est ce qu'on sait faire, chanter en français ! Et ces sons nous intéressaient, ils sont toujours à l'intérieur, mais on espère les avoir un peu dépassé.

Benoît : Y'a un truc au départ, aussi, qui était pratique : y'a des synthés qui coûtent pas cher, puis quand tu craques un logiciel bidon de musique, t'as des cartes son pas chères, tu peux faire plein de trucs, sans louer un studio, ça joue aussi. Du coup nous on n'est pas du tout tombés sur un synthé analogique 808 original en disant ooh putain, le son des années 80, c'est dingue ! On a ouvert un logiciel craqué, on a vu une émulation d'une boite à rythme Rolland qui en fait, sonnait pas du tout pareil, ça sonnait techno, années 2000, mais, on voulait pas faire de la techno. On avait des beats électro, mais on voulait mettre des paroles, faire des chansons, alors on est remonté un peu en arrière, on est tombé sur des gars qui avaient des boites à rythmes et qui faisaient de vraies chansons dessus. Des fois, les gens nous disent, ah vous avez des synthés, vous faîtes de la musique des années 80 et, non, en fait. Le synthé, je pense que ça  a pris son essor pendant les années 70, et ça a connu son pic de popularité dans les années 80 parce que c'était mis en avant, mais en fait on a pas arrêté d'en faire, c'est des instruments qui ont évolué... Nos synthés précisément c'est des synthés des années 2000, qui ont des sons très typés, pas du tout années 80, et je pense que maintenant que c'est revenu à la mode, ça va se calmer ce truc de, ah t'as un synthé, tu fais de la new wave. C'est juste que c'est un instrument génial avec plein de possibilités et, ça serait con de se priver de l'utiliser sous prétexte que c'est un truc revival. Ça l'est pas pour nous.

Mais malgré tout, il y a quand même un revival, je pense qu'on peut le sentir... Rien que l'année où vous étiez à Nîmes, il y avait des résurrections de groupes, comme The Fall il me semble, The Soft Moon... Vous ne vous sentez pas appartenir à une scène en particulier ?

Pas à cette scène-là, mais on kiffe The Fall, on adore Soft Moon, vraiment... Mais, précisément, Soft Moon, le dernier album on l'a beaucoup saigné en se disant putain, c'est un gars qui faisait de la cold wave, mais en fait c'est pas ce qu'il a fait sur son dernier album, il a fait des morceaux qui sont hors-genre, avec des rythmiques... enfin tu vois, c'est pas un kick-snare tout le temps quoi. Ouais, y'a eu un revival, les gens ont écouté des disques, et effectivement, t'as un bornage de sons, de manières de faire qui est réel, mais ce qui est trop cool c'est qu'il y a plein de projets dans ce truc là, qui arrivent à trouver leur propre manière de réutiliser ça quoi. Du coup, je crois pas que c'est un revival, c'est juste des gens qui s'entendent bien parce qu'ils ont écouté la même musique, mais qui ont tous envie de faire un truc différent. Nous on a envie de faire un truc différent.

Grand Blanc, Cabaret Vert, Mémoires Vives, 2016, surprise party

On va un peu parler des textes ; on s'est rendu compte qu'ils fonctionnaient beaucoup par suggestion, par évocation... Est-ce que cette sorte d'onirisme, c'est un moyen de passer outre cette difficulté de chanter en français, dont on entend parler partout ?

Pas de chanter mais... En gros, c'est fait pour contourner la manière dont on peut recevoir une chanson en français. Parce que quand tu comprends, ton cerveau se met en mode comprendre, au lieu de se mettre en mode écouter. Et précisément, je crois pas que la chanson soit de la littérature mais il y a un truc comme ça, si on fait des objets esthétiques avec une langue, c'est pas pour dire un truc du genre, je sais pas, passe-moi une clope, c'est pas usuel, c'est justement un moment où tu t'arrêtes, et tu prends de la distance par rapport aux mots et tu les écoutes. Du coup si tu racontes une histoire en disant, je suis tombé amoureux de cette fille ou, je sais pas, par exemple une chanson avec une histoire de bonne sœur qui envoie des lettres d'amour, comme certains ont pu le faire, ben tu fais ah putain c'est chanmé, cette chanson elle parle – non, elle parle de quedalle en fait. C'est une voix qui dit des choses en français, qui prend le risque de dire quelque chose, de le faire sonner, c'est un moment, une expression de toi-même. Voilà, nous on fait des chansons avec un sens qui est pas forcément très clair, pour casser ce truc automatique de, bon ben cette chanson elle veut dire ça. Ce qu'elle veut dire, c'est ce qu'elle dit pendant trois minutes trente, quatre minutes. Et en plus, le truc qui est génial, c'est si tu te mets pas tout de suite en mode comprendre et que tu essaies de voir le texte advenir, et que tu t'appropries le sens, ben la chanson elle a plus de prix pour toi, parce que c'est pas le même que chacun. T'as plein de sens possibles, après, lequel est le meilleur... y'a difficilement des contre-sens sur nos chansons, même parfois, vu qu'il y a beaucoup de jeux de mots, y'a parfois des gens qui retranscrivent mal nos chansons, même dans les interviews, et nous on est pas du tout du genre weeh, les fils de pute, ils ont même pas pris la peine d'écouter la chanson. On est contents parce qu'on se dit, ah ouais, c'est vachement bien, ça aurait été trop cool de l'écrire comme ça. Voilà, quoi, la langue, c'est disponible, c'est un espace où on peut s'individualiser, où on peut, se battre, les argots ça existe pour ça, les patois ça existe pour ça... Et si on peut créer un espace où les gens se disent, ouais, c'est ma langue, je me l'approprie, ben on est heureux.

[On nous fait signe qu'il faut s'arrêter mais comme on est des rockers, on pose quand même une dernière question.]
Pour conclure, des projets futurs ?

Tourner comme des oufs. On tourne jusqu'à décembre, et on va essayer d'être au top sur tous nos concerts. Et des fois on joue un peu de guitare, ou on fait un peu d'ordinateur, et on se demande ce que pourrait être un prochain disque.

Camille : Ah, on joue à la Gaîté Lyrique aussi. Faut le dire ça. On est trop contents, comme Ben l'a dit c'est fou parce qu'on joue jusqu'en décembre et l'album est sorti en février, donc on est trop contents que la tournée dure aussi longtemps, et elle se termine le 10 décembre à la Gaîté Lyrique qui est une salle incroyable à Paris, et voilà, ce sera notre concert, euh, le bouquet final !

Grand Blanc en tournée :

Grand Blanc, Cabaret Vert, Mémoires Vives, 2016, surprise party

Crédits photos : Thomas Sanna
Merci à Delphine Diard, et à l'équipe média du Cabaret Vert.

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