Lambchop au Trabendo, Paris – 30/01/2017


Lambchop. Derrière la « côtelette d’agneau » se cache une formation expérimentée de Nashville. Des compositions déliées, simples, finement orchestrées, un lyrisme doux-amer et tendre porté par la voix basse de Kurt Wagner ont solidement assis la réputation du groupe dans le milieu de la country alternative. Lundi soir au Trabendo, lorsque les Américains, d’âge mur pour la plupart, viennent se placer derrière leurs instruments, demi-sourire aux lèvres, on voit d’emblée à qui on a affaire.

Cependant FLOTUS, treizième opus du groupe paru en novembre dernier, a pu dès les premières notes surprendre les aficionados. La voix de crooner s’habille d’auto-tune, des boites à rythmes et des plages synthétiques s’invitent à la fête. De prime abord, cela laisse coi. Lambchop n’est pas le premier à enduire d’électronique leurs rêveuses mélodies folk et pop. Sufjan Stevens avait rué dans les brancards avec son baroque (et acclamé) The Age of Adz en 2010. Bon Iver dope la voix haut perchée du chanteur Justin Vernon aux effets électroniques depuis plusieurs années. Que penser de cette invasion de courants plutôt traditionalistes par des textures modernistes massivement exploitées par le hip-hop, la musique électronique et le R&B ? Le débat reste ouvert. La question en revanche de savoir si Lambchop ne fait ici que sacrifier à un effet de mode, sans bénéfice pour sa musique, mérite d’être tranchée. Et si l’écoute de FLOTUS avait laissé le moindre doute à ce sujet, le concert de lundi au Trabendo a coupé court, disons-le tout de suite, à toute controverse.

Le vieillissant Wagner, casquette vissée sur le crâne et culs de bouteille sur les mirettes, commence par bercer la salle de ses murmures, autotunés puis samplés. Les « du du du… » modifiés dans l’aigu reviendront au cours du concert comme un leitmotiv. En terme de couleur, le contraste avec ce qui faisait l’univers de Lambchop semble culotté. Mais un bourdon synthétique monte doucement dans les corps, puis embrayent les notes chaudes de la guitare basse. Le silence de l’auditoire est religieux. Entre l’intimité de la balade minimaliste et les couleurs de la musique ambient, l’économie de moyen et la justesse d’effets calibrés, le charme opère dès le premier titre.

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Joli culot rebelote : Wagner entame sur sa guitare, voix « nue » cette fois-ci, un morceau que l’on identifie vite comme étant « The Hustle ». A savoir, le sommet qui clôt le dernier album, sorte de longue transe méditative, vingt minutes de récitation chantée sur une boite à rythme hypnotique. Et voilà que du titre le plus électro et expérimental jamais enregistré par le groupe, le quatuor nous fait une balade toute douce, languide et poignante, à l’os, à la seule réverb’ et sans rythmique ! Toujours lui-même, et pourtant jamais là où on l’attend exactement : voilà le génie dont Lambchop fait montre ce soir.

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A l’inverse, l’électronique contaminera plus tard dans le set d’autres morceaux plus anciens du groupe. En live, les battements synthétiques à la batterie, nets, telluriques, apportent une fermeté absente des enregistrements studio. A l’œil le benjamin du groupe, le batteur sait aviver l’attention par son jeu aux touches plus « modernes » et syncopées comparativement au reste de l’instrumentation. La tension créée entre les rythmiques et les effets électroniques d’un côté, et le piano de Tony Crow de l’autre, est passionnante. Car le son retenu au clavier est bien celui, chaleureux, du piano. Et les couleurs de Crow sont celles de l’antique musique populaire américaine, parfois du jazz. Son jeu, riche et subtil, évident, ne peut que séduire.

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De la même manière qu’ils se maintiennent entre actualité et intemporalité, les Américains sauront naviguer intelligemment durant leur set entre les balades susurrées au tempo langoureux et les titres rythmiquement plus musclés (flirtant même à une ou deux reprises avec la dance music). Ce beau sens de l’équilibre permet à Lambchop de faire du Lambchop des heures durant, en évitant l’écueil, pas désagréable mais sournois, de l’assoupissement. Ecueil que d’autres géants à l’élégance envoûtante comme Tindersticks n’ont pas forcément su éviter à l’occasion de leur récent retour sur scène…

Une dernière qualité, et non des moindres : Lambchop non seulement dans la douceur garde le groove, mais sait quant il le faut avoir des tripes. Dans « In Care of 8675309 » par exemple, qui ouvre FLOTUS, le groupe met à profit la longueur du morceau pour l’installer dans l’intensité, avec un art des hiatus rythmiques, simples et percutants, droit dans le bas ventre. En bref, tout, sauf plan-plan. 

On comprend donc que l’électronique est venue tapisser leur musique à la manière d’un voile élégant ; que sous cette surface lisse et moirée de reflets nouveaux, la profondeur, la chaleur du songwriting de Wagner reste la même, aussi intemporelle que jamais. Le traitement réservé à la voix est à ce titre significatif. Devenue une matière musicale, manipulée de manière inédite et ludique, parfois triturée furieusement, glissant vers les aigus et d’étranges vibratos artificiels, réduite même par instants à l’état de bribes, d’échos et de hoquets, elle se révèle et s’impose soudain telle qu’en elle-même dans les failles et temps morts de ces mutations imposées. Nous la retrouvons avec d’autant plus de plaisir, à la fois épaisse et douce, profonde et mate, ô combien américaine, et sans âge.

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Et c’est en retour un plaisir de voir Wagner, crooner olympien il y a un instant à peine, s’amuser sur ses machines avec la conviction et la vigueur d’une rock-star geek. Chez Lambchop, les écarts les plus fous résonnent avec une étonnante évidence.

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Cerise sur le gâteau : concentrés et attentifs, les Américains parviennent à être sympathiques tout en étant professionnels, détachés sans être désagréables. Qu’il s’agisse de faire taire les battements de mains jugés intempestifs, de raconter des conneries ostensibles pour meubler, d’épingler brièvement la xénophobie de Trump, de se foutre des camarades musiciens sans micro ou de remercier la foule, le laconique Kurt Wagner et le plus disert Tony Crow assurent. Mi-figue mi-raisin, lard ou cochon, d’une ironie sous lourdeur mais suffisante pour intriguer et titiller l’auditoire. Art de l’équilibre, encore une fois. Les éclats de rire de la foule sont francs, les acclamations nourries, et l’on ressort de là ivre de délicatesse, et dans un état de jovialité qu’on n’aurait pas spontanément attendu de la part d’une musique si languide en apparence.

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