Tinariwen – Elwan

Elwan, huitième album des parrains du blues-touareg Tinariwen, ne révèle véritablement son ampleur qu’à la seconde écoute. C’est qu’il nous faut le temps de nous acclimater, de nous familiariser avec les modes encore un peu inhabituels que le groupe utilise, avec ses mélodies, de les assimiler pour finalement, une fois abandonnées nos oreilles occidentales mécaniques, s'y rendre accro : cette seconde écoute en appellera d'autres, on voudra bien vite y revenir, retourner au Mali, en Algérie encore et encore, pour finalement se retrouver un beau jour à quatre pattes le nez dans la dune, avides de notre dose quotidienne de sable du désert.

Considérant l'importante discographie de Tinariwen, on constate que d'un album à l'autre, les codes utilisés n'évoluent que peu – pour sa partie immergée en tout cas, puisque de nombreuses cassettes des années tôtives demeurent introuvables. Les ingrédients qui nous séduisaient la première fois sont toujours présents… cette tranquillité globale, ces constructions voix soliste lançant un motif mélodique, repris par un chœur, ou auquel le chœur répondra ("Sastanàqqàm", ...), cette même voix formulant ces complaintes touchantes, ces phrases de guitare, parfois approximatives – on pourrait dire « respectueuses des notes qui n'ont pas daigné sonner » - toujours humaines, émouvantes, collant à nos spleens ou les pacifiant un peu. Quelques données sont quant à elles récurrentes dans leur variabilité : Tinariwen se laisse comme souvent un espace de liberté, se permet de détonner légèrement le temps d'un morceau, de se laisser pénétrer d'influences que nous qualifierons, à défaut de vocabulaire mieux adapté, de plus « occidentales ». Imaginons "Assàwt" avec une orchestration plus électronique, grosse basse et batterie en plastique : elle aurait fait un magnifique tube de l'été, dans la lignée  de n'importe quelle comptine radiophonique pauvrement exotique. Tinariwen nous en dispense, se borne à une guitare discrètement funky, et on les en remercie.

Peut-être est-ce au niveau de la production globale que l'on constate le mieux les mutations du groupe. Sans pouvoir affirmer objectivement qu'elle s'améliore, avançons qu'elle évolue, quasi-imperceptiblement – tranquillement. Ici, on a joué avec la saturation des guitares solistes, rares auparavant, et la basse gagne en autorité, se débride efficacement. Le rendu final est sans doute moins propre, moins lisse que celui d’un album comme Tassili, par exemple, mais ça n'est en rien péjoratif : le grain du sable n'en pénètre que mieux dans nos conduits auditifs.

Tinariwen, Elwan, 2017, blues, touareg, Kurt Vile, Mark Lanegan

A propos du son, notons la présence dans les crédits du nom de Kurt Vile, qui semble avoir apporté sa science des arrangements de fond de mix et prêté sa pédale delay au collectif ("Tiwàyyen", "Nànnuflày"). L'Américain a collaboré avec Tinariwen, tout comme Matt Sweeney (requin de studio qui apparaissait déjà sur Emmar en 2014) et Alain Johannes (fort lui aussi d'une discographie particulièrement riche, parmi laquelle on trouvera, logique implacable, une participation aux Desert Sessions de Josh Homme) et tous avec une grande humilité, sans dénaturer le moins du monde les ambiances du groupe, les travaillant simplement, avec délicatesse, sans esbroufe ni excès de zèle. Même constat pour le chant en anglais de "Nànnuflày", qui nous avait intrigué : on connaît cette voix grave (dans la tonalité comme dans le grain) ; c'est celle de Mark Lanegan, dont la mélancolie naturelle se marie parfaitement à l'univers de Tinariwen.

Hormis cette parenthèse anglophone, la langue touareg est, évidemment, omniprésente – le tamasheq plus précisément, dialecte proche, dans ses constructions, des variantes berbères, et à l’alphabet fascinant. C'est toujours une sensation étrange que d'entendre chanter une langue pour laquelle on n'a aucun repère, ça fait partie de la poésie, du charme du moment ; l'imaginaire, la sensibilité marchent à plein régime, et le temps de ces quelques écoutes naïves, ces sons insensés sont hypnotiques.

Il est un mot tout de même, qui avec le temps, nous est devenu familier : Ténéré, le désert, est probablement le mot le plus utilisé de tout l’album, voire de toute la discographie de Tinariwen. Qu’il ait un sens premier (lorsqu’il est question de sa dégradation, "Ténéré Tàqqàl") ou plus symbolique, il est l’obsession des musiciens, il est ce que le groupe transmet depuis sa création – un sentiment pour ce désert jaloux, dont on comprend l’ambivalence sans comprendre les mots utilisés pour en parler, au son, aux mélodies, aux intonations. La clé du succès de Tinariwen c’est que ce désert n’est pas exclusif, il ne se borne pas à un soleil brûlant sur des kilomètres de roche et de sable : l’auditeur est invité, poussé, forcé, à trouver son désert personnel ; l’auditeur entre en empathie avec Tinariwen lorsqu’il a trouvé son propre Ténéré, roulant à vélo entre les vaches à la campagne, se promenant à pied au bord de l’autoroute, déambulant à trottinette sur la plage ou en échasses à Paris – peu importe, le Ténéré est partout, puisque Ibrahim ag Alhabib et ses complices ont pu le retrouver en France et aux Etats-Unis, où ils ont dû enregistrer Elwan à cause de l’insécurité actuelle relative au lieu, au lieu terrestre donc, et non au lieu symbolique.

Ainsi, si Elwan ne révolutionne pas l'histoire du groupe, ni sa personnalité, il nous permet de nous approcher toujours un peu plus de ce cloud désertique imaginaire créé par la musique de Tinariwen (ça ne veut rien dire). Sans prise de risque excessive, mais sans compromission, le collectif ajoute un album à sa discographie avec l’humilité qui lui est propre, l'air de dire, simplement, « on vous pose ça là, si ça vous dit », et ça nous dit.

Sortie le 10 février chez Pias Records

Crédits photo : Marie Planeille

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NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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