"I'm in love with a german film star, I once saw in a bar..."
"One Hit Wonder", c’est sous cette expression peu glorieuse que se cache parfois d’insoupçonnées pépites du passé, trop plébiscitées pour être complètement oubliées, mais trop cachées pour être institutionnalisées ; pour le meilleur et pour le pire. C’est ce qui s’est passé avec les Passions et leur single "I’m In Love With A German Film Star", sorti début 1981. Deux ans plus tard, le groupe se sépare et tombera à jamais dans les limbes des occasions manquées. Que diable a-t-il pu bien se passer ?
Mais revenons plutôt au début de l’histoire. Le groupe (au début les Youngsters, et non les Passions) se forme en 1978, alors que l’explosion punk est déjà sur le point de passer l'arme à gauche tandis que les formations de post-punks déprimés comme ceux de Joy Division pointent le bout de leur nez. Soufflant sur le reste du brasier punk, nos jeunes amis jettent logiquement leur dévolu sur les sons de guitares craspecs, de basse sans basse, et de chant masculin à la justesse toute relative. Ca, ce sera du moins le cas pour le premier Ep, Needles And Pills (avec un titre pareil, faut vous faire un dessin ?) mais fort heureusement, le chanteur cédera bien vite sa place à la guitariste/chanteuse Barbara Cogan, bien plus convaincante dans le rôle. Mieux encore, les Passions décrochent un contrat en 1979 avec Chris Parry, fondateur du label Fiction, et accessoirement manager d’un autre petit groupe prometteur originaire de Crawley, les Cure.
L’année suivante sort le premier effort de nos héros, Michael & Miranda. Produit par Mike Hedges, le son se rapproche furieusement de la new wave. Rage froide et rentrée, rythmique métronomiques, guitares propres; on a l’impression d’entendre les Cure en train de jouer du Siouxsie And The Banshees de l’époque (à moins que ce ne soit l’inverse ?). Si la production est léchée, les compositions ne sont pas encore assez convaincantes (sauf peut-être à l’exception d’ "Oh No, It’s You"), voire pas inspirées (le faux reggae d’ "Hunted ") ; manquant terriblement d’un single en bonne et due forme, même si pour un premier essai, cela reste correct (preuve en est avec leur passage chez le légendaire John Peel, sorte d’adoubement post-punk par excellence). Les Passions iront donc vaillamment défendre leur bébé en ouvrant les dates européennes de la tournée des Cure avant de se faire jeter comme des malpropres par leur label. Et ça tombe finalement pas si mal ; et d’une parce qu’il ne sont jamais vraiment sentis portés par ledit label, et de deux, parce qu’ils sont sur le point de signer avec Polydor. Excusez du peu.
Et c’est maintenant que nous arrivons au cœur de notre histoire. Début 1981 sort le single "I’m In Love With A German Film Star", un titre étonnamment contemplatif et mystérieux, sublimé par le delay du guitariste Clive Timperley. La chanson devient vite un hit et ouvre les portes de l’émission sacro-sainte Top Of The Pops au groupe. Ca y’est, ce coup ci, c’est la gloire ! Pourtant la composition du titre telle que se le rappelle le bassiste David Agar n’a rien de bien glorieux, se limitant à une répet foireuse passée à "siroter du mauvais thé" et "jammer sur trois accords" avant que la chanteuse ne trouve les paroles et le fameux titre (inspiré par un de ses béguin envers un roadie des Sex Pistols et des Clash), réussissant ainsi à sortir le batteur de son état végétatif qui s’exclame soudainement "Ca, c’est un hit !". Pas bête, l’animal.
Il faut battre le fer tant qu’il est chaud. C’est donc neuf mois plus tard que sort Thirty Thousand Feet Over China, le deuxième album des Passions. S’inscrivant bien plus volontiers dans la lignée de leur nouveau single que celle de leur premier disque, les Passions commencent à affiner leur style et ont indubitablement gagné en maturité. Les dissonances punks sont mises de coté au profit des mélodies amères de la new wave dont un titre comme “Swimmer” et sa ligne de chant semble s’en faire littéralement le chantre. Il faut bien avouer que Thirty Thousand Feet Over China est un pur produit de son époque. On peut ainsi y attacher un certain nombre de références, de Bauhaus sur "Small Stones" à un "Bachelor Girls" que n’aurait pas renié les Pretenders du début; mais aussi les allemands de Kraftwerk le temps d’un "Skin Deep" de bon aloi, sans oublier la voix de Barbara Gogan s’inscrivant quelque part entre les envolées de Liz Frazer, la mauvaise humeur d’une Siouxsie Sioux et le chorus glacé d’une Debbie Harry.
Car si l’on peut attacher à cet opus autant de noms prestigieux, c’est que l’album est quand même une sacrée grande baffe dans la gueule. Pas de temps morts, pas de pistes à zapper, ni trop court ni trop long, cohérent mais protéiforme, singles en chaîne ("I’m In Love With A German Film Star" évidemment, mais aussi "Swimmer" et l’excellentissime "Runaway") difficile de ne pas adhérer pour tout amateur post-punk qui se respecte. Avec un groupe plus mature, un contrat avec un label solide, un super album et une tournée en vue, plus rien ne pouvait leur résister. Vraiment ? Dit comme ça, il est effectivement difficile d’imaginer ce qui a pu tourner cacao dans l’histoire ; et c’est peut-être justement une histoire de tournée qui sonnera le glas du groupe.
Ironiquement intitulée Tour Till We Crack, la tournée verra le départ du guitariste du goupe pour "différents politiques". D'un certain coté, c'est sûr que de tourner avec une chanteuse ayant certainement sa bonne dose d’ego (mais quelle chanteur/euse n’en a pas ? hein ? Je vous le demande?) et qui plus est marxiste convaincue ne doit pas être facile tous les jours. Sauf que Timperley avait su insuffler via ses effets de guitare une dimension supplémentaire à la musique du groupe. Toutefois, les Passions ne s’arrêtent pas en si bon chemin, trouvent vite un remplaçant en la personne de Kevin Armstrong (futur collaborateur de Bowie, Iggy Pop et Morrissey) et en profite pour embaucher un claviériste, Jeff Smith.
En 1982 sort leur troisième et dernier album, Sanctuary, et dire qu’il ne tient pas la comparaison avec son prédécesseur est un doux euphémisme. D’une, parce que le clavier est un ajout plus que dispensable, voire est un élément perturbateur, parasite. Et de deux, parce que la musique se trouve alourdie d’une balourdise eighties dont on se serait bien passé. Ne subsiste de ce gâchis qu’un « Small Talk » réellement valable.
C’est au milieu de l’année 1983 que prend fin pour de bon l’aventure des Passions après un ultime concert londonien. On ne peut que regretter que le groupe n’ait pas poursuivi et persévéré au vu du potentiel que laissait entrevoir Thirty Thousand Feet Over China autant que l’on peut se consoler en se disant qu’au moins, il existe bel et bien ce foutu album ! Ben oui, et c’est déjà une sacrée aubaine de pouvoir encore l’écouter, des dizaines d’années après. Et si l'album n'est pas forcément ultra connu, "I’m In Love With A German Film Star" reste assez culte pour être repris par différents groupes, notamment en 2005 par les Foo Fighters. Alors, un bon conseil; ne vous privez pas, écoutez, kiffez (ou pas, hein, c’est à vous de voir), mais surtout, surtout ne l’oubliez pas !
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