Rencontre avec Mademoiselle K

"Sous les brûlures", à s'en cramer la chair et le ciboulot, 5ème album studio pour Mademoiselle K qui trace sa route, toujours à contre-courant, sans faire de concession aucune et dont on n'a plus à justifier ni l'état d'esprit ni le son, clairement rock'n'roll.

Pour la peine, c'est sur la philosophie de ses textes qu'on a eu envie de se pencher.

Rencontre.

« Bonjour bonjour » Katerine, ton nouvel album ouvre sur ces mots pour terminer sur un bye-bye,  ce sont des mots importants à se dire ?

Ouais, j’aime bien, sur les albums en tout cas… Qu’il y ait une introduction et une conclusion... Et puis je n’en avais pas fait d’aussi franches depuis « Ça me vexe » où il y avait « Reste là » au début et « Final » à la fin. Il y a des cycles comme ça.

Et l’orthographe de ton « baïe baïe » ?

C’est parce que je  trouve toujours ça cool de jouer avec les langues, surtout avec le français sur lequel on a régulièrement des prises de tête, tous les ans, au moment de la sortie du nouveau Robert, on entend des trucs marrants sur « mais pourquoi on n’a toujours pas enlevé le f à la fin de clef », plein de choses comme ça…

Et puis, c’est con mais sur la structure, l’image du « baïe » écrit comme ça, ça m’évoque encore autre chose, je sais pas, c’est visuel, un peu comme un conte, comme accéder à un autre monde, juste en changeant l’orthographe.

Dans ce monde-là, Peter (guitariste/bassiste depuis le début) est toujours à tes côtés, il y a des nouveaux ?

Ouais ! En fait, je trouve que c’est toujours très enrichissant la rencontre avec de nouveaux musiciens… Et là, il y a eu Peter effectivement : on s’est retrouvés à quelques moments clefs puisque c’était pour faire « S I C K » , « Sous les brûlures » et « On s’est laissés »… Vraiment que tous les deux, sur trois morceaux quand-même fondamentaux de l’album…

Et après, j’ai passé du temps avec Jeremie Poirier-Quinot, un nouvel arrivant qui, à la base, est flûtiste, flûte traversière mais vraiment comme un Dieu, il a fait toutes les classes du Conservatoire, beaucoup de concours, enfin c’est vraiment une grosse bête hein, il improvise merveilleusement bien, c’est un putain de musicien ! Il chante aussi super bien… et du coup, il fait plein de chœurs avec moi sur cet album, justement sur « We are Kissing Baïe Baïe » par exemple et sur scène il chante sur « S I C K » puis « Suckin’ my brain »…

Et du coup, j’ai beaucoup fonctionné par paires, j’ai fait des morceaux en duo avec Peter et beaucoup de morceaux en duo avec Jeremie. En plus, c’était une période où Peter n’était pas trop dispo parce qu’il jouait avec un autre groupe et moi je passe du temps seule, toujours, mais y a un moment où j’en ai marre et où je dis « eh oh j’ai besoin de jouer avec quelqu’un ! »
Il se trouve que je venais de rencontrer Jeremie et dans la foulée on venait d’avoir des premières parties des Insus où j’avais genre deux semaines pour monter des nouveaux morceaux et, du coup c’était cool parce qu’on s’est rencontrés un peu dans le stress de - il faut préparer des nouveaux titres - et en même temps c’est très bien parce que, quand on fait un concert, ça vaut dix répètes pour l’essence d’une chanson.

Et à la fin on s’est retrouvés à quatre pour « Ça ne sera pas moi » et « Sous les brûlures » qu’on a refait en groupe : on a gardé quand-même plein de sons de la version d’origine faite seulement avec Peter, plus des éléments de la version à quatre sur ce titre, c’est un gros mélange. Donc assez hétéroclite cet album mais… c’est pas un problème.

Katerine Gierak

Photo : Raphaël Lugassy

T’es un peu jeune pour qu’on te dise ça mais j’le tente quand-même : est-ce que cet album ne serait pas celui d’une certaine maturité ? Il y a un vrai questionnement philosophique, avec des phases d’introspection et d’autres plus ouvertes,  sur l’existence, l’âme et tout… Et donc je voulais te demander qui est Dieu pour toi. Est-ce qu’il y en a un ou en tout cas, est-ce tu considères qu’il y a quelque chose de plus grand que nous..?

Ah…

C’est une grande question ça.

Mais alors paradoxalement, je ne parle pas de Dieu t’as vu.

Effectivement de quelque chose qu’il y a au-dessus, que « la mort n’éloignera pas nos âmes », tout ça ouais…

Est-ce qu’il y a un Dieu ou pas, c’est quand-même LA grande question… Mais, plus ça va, et plus je me demande si c’est vraiment Dieu ou si ce n’est pas un truc d’humain de toujours vouloir personnifier les choses parce qu’on a besoin de personnifier les choses…
Est-ce que ce serait pas juste une force qui serait au-delà de nous ? Qui serait supérieure à nous ? Sans pour autant que ce soit Dieu ou quelqu’un…
Plus quelque chose que quelqu’un en tout cas je pense…
Je pense qu’on y a accès justement dans des moments forts de nos vies et j’sais pas si ce quelque chose, il n’y en a pas un petit bout dans chacun de nous !

Et dans un des derniers livres que j’ai lu, « La horde du contrevent » d’Alain Damasio qui m’a beaucoup marquée parce que c’est très beau, il parle du « vif » qu’il y a en nous…
C’est toute une horde donc c’est un groupe qui vit ensemble, qui remonte de l’extrême aval jusqu’à l’extrême amont et ils vont à l’origine du vent. Et c’est magnifique parce qu’il y a tout un champ sémantique avec le vent, franchement je recommande, c’est d’une poésie de dingue et d’une inventivité incroyable ! Il a eu le prix de l’imaginaire ce livre et c’est pas pour rien parce que ça te transporte vraiment loin. Il se passe plein de choses en route, 'y en a qui meurent et, on découvre, en fait, que quand ils meurent, ils meurent pas vraiment ! Enfin y a cette histoire de vif : ce qu’il reste d’eux c’est un vent qui serait chargé de leur énergie et donc les membres de ce groupe, en tout cas les plus initiés, ont la faculté d’absorber ce vif !

Des fois, justement sur les personnes qui ont disparu, je me demande « est-ce que là, il est avec moi, ou est-ce qu’en fait je l’ai absorbé ? »
Tu sais par exemple un geste que j’ai partagé avec eux et, à travers ce geste, ils sont vivants…

En tout cas je sais que le lien entre nous fait des choses incroyables. Il se passe des choses incroyables ! La connexion qu’il peut y avoir entre des êtres !

Les bouddhistes, les chamanes, eux ils le savent déjà. Depuis des millénaires.
Nous on est dans une société où on sépare beaucoup les choses. Il y a plein de cultures où on parle de l’au-delà, du monde des animaux, du monde des végétaux et qu’en réalité, tous sont liés et tous communiquent.

Ce n’est pas une thématique que tu abordais particulièrement sur les précédents albums, j’imagine qu’il y a eu un déclencheur récent…

Oui. J’ai perdu mon père il y a deux ans. J’avais déjà été confrontée à la mort mais c’est vrai que quand on perd son père ou sa mère, forcément ça touche à quelque chose d’encore plus près de nous et ça pose plus directement une certaine question sur l’héritage : qu’est-ce qu’il reste en nous d’eux ? La fameuse question du « vif »…

Et… la future question de la parentalité aussi. Parce que moi, je ne suis toujours pas parent, j’ai encore plein de trucs à régler avec ça mais… je sais qu’en réalité ça m’attire beaucoup. Mais y a toujours ce questionnement « est-ce que j’en serais capable ? »… Je ne parle pas des pressions sociales, quand t’es une femme, la question de l’âge etc, ça j’en m’en fous !
Mais quand tu perds un parent et que c’est peut-être à toi de devenir parent, ça bouscule plein de questionnements.

Et tu sais dans « Bonjour bonjour » je parle justement de mon père, en filigrane, car on ne s’est pas dit au revoir.
Mais on s’est dit je t’aime !
En revanche, c’est ce qui m’a manqué dans ma relation amoureuse, celle à cause de laquelle j’ai écrit cet album, c’est qu’on ne m’ait pas dit « je t’aime »…

Il y a eu le Bataclan entre temps, des évènements tragiques, un peu partout en France, à Paris… à Nice… Et je déteste qu’on se dise « je t’aime » quinze fois par jour tu vois mais, je trouve aussi inconcevable qu’on ne se le dise jamais.
J’ai toujours eu conscience, ça pour le coup depuis très longtemps, qu’il peut nous arriver plein de trucs du jour au lendemain et donc, ‘faut pas reporter ! Si y a des choses qu’on veut aller voir dans le monde, des choses qu’on veut faire, il faut pas les reporter parce qu’on sait jamais ce qui va nous tomber sur la gueule !

Dis-moi Katerine, au gramme près, combien pèse ta rage ? (référence à « Sous les brûlures »)

Wahou !

J’allais dire 21 grammes mais c’est un peu facile…

Le poids de l'âme ?

Ouais, j'ai adoré ce film !

Putain ! C’est une question hyper dure !

Euh…

(silence)

Ma rage pèse le poids que je lui donne.

Ca dépend des fois quoi…

Est-ce que c’est un moteur ou un frein ? Les deux j’imagine mais…

Exactement. T’as tout compris.
De toute façon les meilleures réponses c’est celles qui vont dans des sens opposés. J’ai lu ça il y a quelques jours d’un mec que j’trouve passionnant qui s’appelle Tobie Nathan qui est un ethnopsychiatre, il travail beaucoup avec les migrants et il sort un livre là que je dois absolument lire, il parle justement de quelqu’un qui venait de perdre son père et qui a des hallu’ et voit un lion, ça ne veut pas dire qu’il est fou. Il aurait vu « le lion qui est son père » et dans ce pays-là, c’est toute une symbolique le lion, le père que tu vois partir… Enfin je pense qu’il y a des moments dans notre vie où on est particulièrement sensibles à des trucs ou particulièrement connectés et y a pas une règle, on est tous différents.

En tout cas, ce mec, il est passionnant, Tobie Nathan, juif égyptien, il dit que le Talmud a toujours raison parce qu’il porte les antagonismes en lui. Nous c’est pareil, par exemple notre dos, nos muscles, on a plein de muscles antagonistes et notre dos il va dans la longueur mais dans la largeur aussi.

Donc pour en revenir à ta question, les deux oui. Y a des moments où j’suis pas cool avec les autres, à commencer par moi-même, et d’autres où ça va mieux, comme tout le monde.

Sous les brûlures, Mademoiselle K

Photo : Marine Guizy

Et le « tout le monde » justement tu en parles aussi pas mal dans ce nouveau disque, le titre « Pour aller mieux » en témoigne particulièrement puisqu’il n’y a plus ta voix, mais celle des autres. Qui sont-ils ? Amis, inconnus ?

Ouais ! Ben y a un mélange. J’ai commencé par mes amis pour tester la question que j’ai un peu ajustée et donc elle est devenue la même pour tout le monde :  « quand t’es pas bien, qu’est-ce que tu fais pour aller mieux ? »

Après les amis, j’ai posé la question à des gens dans la rue que je trouvais sympa : un éboueur, un mec qui m’a aidée à gonfler mon pneu à la station essence, ce cordonnier chez qui j’amène mes pompes, une nana à qui j’achète des clopes, que j’trouve hyper sympa…

Puis vers la fin, j’ai aussi posé la question à ma mère, à mon oncle et à mon ex. J’trouvais ça cool que tout le monde soit rassemblé. Ca met la paix en moi aussi. Parce que même si je suis triste ou encore en train de soigner les plaies de cette rupture, dans les moments les plus dark je me rappelle qu’il y a cette plage où j’ai mis tout le monde ensemble et ça me fait du bien. Comme s’ils étaient tous avec moi.

C’est donc ton truc à toi « Pour aller mieux » ?

C’est ça. D’ailleurs moi je n’ai plus de réponse à cette question : je suis la réponse de tout le monde. J’ai l’impression d’être l’éponge qui a absorbé toutes ces réponses, dans tous ses sens (on y revient), parce qu’à un moment ‘y a quelqu’un qui dit de pas s’isoler et juste derrière j’ai mis quelqu’un qui dit « ben moi j’m’isole ».

D’ailleurs, pour moi, la force de ce morceau c’est ce qui se dégage dans son ensemble. Une onde profondément bienveillante. C’est la fumée qui sort de toute cette chaleur quoi.

Joli.
Tiens, ton philosophe préféré ?

Je vais te dire tout de suite Montaigne ! Les essais. Y a une édition en français moderne que je lis régulièrement. Tiens ben, récemment, j’ai lu un passage où il parle de la mort, de la colère. C’est des chapitres pas très longs qui font une dizaine de pages et c’est passionnant. J’adore Montaigne ! J’suis une grande fan ! Quand j’étais ado déjà…

Il a quand-même ce côté très français en lui. Il est à la fois très philosophe sur les choses et il garde cette mesure, on va pas s’jeter à corps perdu dans la passion par exemple, c’est pas son truc la passion. Enfin il n’en parle jamais mais n’oublie pas pour autant d’être un bon vivant et en ça il est très français. On va pas se priver non plus quoi, d’un bon vin, etc…

Un des chapitres qui m’a beaucoup marquée c’est celui sur la solitude. Parce que c’est un peu mon état d’esprit de quand j’ai écrit « sous les brûlures, l’incandescence intacte », c’était indépendant de l’album. C’est une phrase que j’ai écrite il y a trois ans pour me donner du courage face à l’adversité, c’est ma phrase à moi.
Et quand j’ai relu Montaigne, je retrouvais un peu cette quête, quand il dit qu’il faut avoir une femme, il faut avoir des enfants, il faut s’entourer quoi, entretenir des relations avec les autres, mais, que votre peur c’est vous qui devez vous la portez. Et qu’il faut savoir se contenter aussi de sa propre compagnie en prévision du jour où ceux qu’on aime pourraient disparaitre. Il faut toujours garder quelque chose en soi d’inébranlable. Et je le comprends carrément parce que quand j’ai fait cette phrase, c’était pour ça. « L’incandescence intacte » c’est ce qu’il reste d’indestructible.

Après un album entièrement en anglais, tu reviens justement à ton écriture en français, majoritairement…

Ouais ! C’était un réel plaisir d’y revenir ! D’écrire en français mais aussi de chanter en français, de faire sonner chaque mot, tout ça…

D’ailleurs, pour S I C K, y a une petite histoire. Mon manager voulait que je la fasse en français pour ce nouvel album. Sauf qu’elle a été écrite dans un contexte vraiment particulier. Je revenais d’Irlande et je venais de rencontrer ce mec, David, qui écrit des chansons, il a l’âge de ma mère en gros, et c’est la première fois qu’il y a eu un échange d’écriture avec quelqu’un, j’avais jamais fait ça mais là, ça a été très spontané. Un jour j’lui ai dit « putain j’ai une super chanson mais j’ai pas d’refrain, ‘y a un truc qui manque » et j’lui ai chanté par Skype en guitare/voix et un soir, il rentre bourré, il m’dit « j’ai bien bu mais j’crois qu’j’ai trouvé une phrase pour ta chanson » et là il m’envoie sa phrase, j’la teste sur le refrain et j’me dis « putain ça y est j’ai ma chanson ! ». Et du coup je l’ai mis en co-auteur parce que c’est une phrase importante qui a débloqué le refrain. Et donc « S I C K » voilà, c’est pas la même sémantique que le « malade » de Serge Lama tu vois (rire), c’est pas le même propos, c’est pas la même sonorité et c’était pas possible de changer la langue parce que les mots et la musique sont vraiment imbriqués. C’est comme une peau avec un corps, t’as la chair, t’as les os, tu peux pas les séparer quoi ! Sinon ça fait une espèce d’être pas complet.

Et donc, cette alternance entre le français et l’anglais, entre l’électro et le folk, ça fait partie de toute cette relation, surtout de la fin de cette relation mais même après il reste quelque chose. Comme après une mort, il reste quelque chose. Et là, ce qu’il reste, c’est cet album. Avec tout ce qu’il y avait de beau. Parce que c’était une relation très belle et c’est aussi pour ça que ça a été si dur et si déchirant. Ça l’est toujours une rupture mais là, ça a été encore plus dur pour moi parce que c’était génial. C’est comme s’il y avait un truc d’absurdité parce qu’avant ça, dans mes ruptures, on savait pourquoi, on avait fait le tour, passé du temps et il y avait vraiment cette sensation de fin. Alors que là, pas du tout. C’est ce qui rend les choses d’autant plus difficiles et d’autant plus questionnantes, c’est ce que je dis dans « On s’est laissés » : « comme des points de suspension »…

 

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