Hoboken Division – The mesmerizing mix up of the diligent John Henry

La force du mythe de John Henry est universelle : c'est l'archétype même du combat de l'homme contre la machine. Le dernier, perdu d'avance. Pourtant face à la débâcle qui s'annonce totale, il ne nous reste plus que ce combat futile.

Les bluesmen l'avaient compris en ne voulant rien changer mais juste conter l'état du monde et en chanter la désolation. Ils le savaient. Le rock a voulu croire qu'une récréation était possible, mais la cloche a sonné et on retourne tous en classe étudier les étapes de la fin qui s'annonce.

C'est dans cette atmosphère qu'Hoboken Division nous offre pour second album un pur condensé sulfurisé de blues rock qui sent bon les racines tout en rappelant que le punk est passé par là. N'allez pas chercher à lâcher des noms. C'est surtout une question de posture, d'attitude et d'approche, pas d'esthétique. L'esthétique, elle, s'est forgée à la lueur des coulées d'acier qu'on a vu s'éteindre en Lorraine face à une machine bien plus redoutable que celle qu'a vaincue John Henry avant de mourir de son dernier combat : la spéculation.
Les John Henry sont légions : Florange, Gandrange, et bientôt les autres, le bassin minier, tout le Texas français rétrograde. La machine elle-même a perdu, délocalisée, miniaturisée. Elle s'en va mourir avec son fidèle ennemi. Si Lantier vivait il pleurerait les hauts-fourneaux.

Faire un disque aujourd'hui est un acte héroïque. La mort du disque de masse aura eu un effet salutaire quand bien même tant pleurent son âge d'or : jamais il n'aura été aussi superflu d'en sortir un et jamais les groupes n'auront été aussi libres de le faire, puisqu'ils n'ont plus rien à y gagner que le plaisir.

Hoboken Division, 2017, blues, garage, slide

Tout l'album d'Hoboken Division transpire ce plaisir. Tout y sonne avec un naturel non feint, un jeu brut inspiré par le goudron. Ne vous étonnez pas de voir le monde en série de flashs tantôt noir et blanc tantôt couleurs. Nous sommes promenés dans les époques dès l'entrée par le tube "So the guy was walking" au slide ferrailleur évoquant R.L Burnside (surtout quand il s'acoquine avec Jon Spencer Blues Explosion) autant que la sublime pochette de Jean-Luc Navette évoque le club Ebony. C'est direct, frontal (la batterie), on est sur les rails derrière John Henry et on veut soulever de la fonte.
Dès le second morceau on comprend vite que le groupe a une ambition qui ne se résume sûrement pas à l'hommage et va chercher au delà des paturages de son excellent premier album.

Plutôt que millésimé le disque devient intemporel en deux chansons. Et dès la quatrième on perçoit sa portée universelle, fédérant par la base. "Ho Lo No Mo" aurait pu être écrite par John Parrish & Grinderman si Karen O s'était collée au chant. Un disque qui sonne à la fois comme une œuvre très personnelle, impliquée, tout en réussissant le tour de force de s'exproprier par son accessibilité.
Tant d'ombres guettent le combo, Fred McDowell peut rester en paix car son esprit est perpétué.
"Cold water" l'atteste en amenant ce qu'il faut de fièvre et de ferveur. A ce déluge de saturation et de batterie brute la voix de Marie apporte une charge supplémentaire.
Ce trio a la force d'un troupeau de bisons et la production de Lo Spider leur rajoute des stéroïdes amplifiés par le master de Julien Louvet.

Le disque se clôt sur "The mesmerizing mix up of the diligent John Henry" qui nous propulse dans le 7ème art qu'Ennio Morricone savait si bien faire sonner. On pourrait y voir Hoboken Division rejoindre John Henry sur le rail, le train sonne son arrivée. C'est comme la cloche du jugement dernier au Far West, c'est dans ce but que ce disque nous a préparés: l'ultime rencontre. On s'imagine alors descendre aussi sur le rail et regarder la face d'acier du destin. Sauf qu'aujourd'hui lui-même fuit un mal plus fort (un piano insidieux joue le rôle de la spéculation), pour sa survie, et l'homme n'est qu'un accessoire, un accident sur sa route.
Nous sommes cette guitare qui se bat quand le train nous passe dessus mais son cri nous supplante. Nous sommes John Henry, d'obsolètes besogneurs qui soignent leur dernier combat car c'est le dernier acte qui puisse nous définir.

Sorti le 10/11/2017 en vinyle chez Les Disques de la Face Cachée et en cd.

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NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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