Transfer – Jour 1 – King Gizzard, BRNS, The KVB…

2 mars 2018 : Le Transbordeur de Villeurbanne accueille, en ce premier week-end du mois de mars, la seconde édition du Transfer, festival hivernal dont la programmation ambitieuse devrait sacrément nous réchauffer les pieds. Plusieurs tuiles sont néanmoins tombées sur la tête des organisateurs lors de la dernière ligne droite : deux groupes ont annulé leur venue, Drahla, programmés pour vendredi et restés bloqués sur l’Île de Bretagne à cause des intempéries vicieuses, quand Ashinoa, prévus samedi, évoquent des « raisons personnelles ».

En plus de cela, la soirée censée, samedi, prolonger le plaisir des festivaliers jusqu’au petit matin dominical, et pour laquelle le public pouvait se procurer un billet lui permettant d’entrer dans la salle après minuit a dû être reportée pour des problèmes de « logistique » ; il se murmure çà et là que le nombre de places vendues n’aurait pas été suffisant pour justifier la nuit blanche qui se préparait. Il nous semble parfaitement anachronique qu’un tel pépin puisse arriver à la programmation électronique plutôt qu’à la soirée rock ; on s’en étonne sans s’en plaindre, ni en jubiler, car ce loupé créera un important déséquilibre entre les deux soirées, réduisant drastiquement le nombre de spectateurs entre le vendredi et le samedi. D’autant que la ligne éditoriale du Transfer, au vu des artistes invités, semblait plutôt consister en une célébration de l’amitié retrouvée entre guitares saturées et basses profondes, réconciliation permise, depuis quelques temps, par la réhabilitation massive du son des années 80. Le charme de cette philosophie parviendra-t-il à surpasser la cruauté du sort s’acharnant sournoisement sur un si jeune festival ? Fin d’introduction ouverte, suspens, tension maximale.

Oui.

KCIDY

Tout bon festival se doit de laisser une place, dans sa programmation, à la scène locale : ainsi, c’est à KCIDY, quatuor lyonnais, qu’il revient d’ouvrir la soirée. S’il n’est que 20 heures lorsque les premières notes se font entendre, et que le club du Transbordeur est encore assez loin d’être plein, le groupe saura se montrer suffisamment convaincant pour pousser les retardataires à passer devant la scène avant de passer au bar. Le registre choisi est une pop moderne assez classique, dont la forme parfois un peu éculée (parti prix de la voix féminine angélique, harmonies vocales bien exécutées mais un peu redondantes) est correctement contre-balancée par la fraîcheur des structures (comme pour le second morceau, débutant sur un clavier typé Doors, mais dont le développement surprenant rend joliment caduques les liens de parenté avec Ray Manzarek), ou le raffinement du détail (on est fasciné par l’utilisation, impeccablement dosée et parfaitement justifiée, du delay sur la voix, hypnotisant).

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C’est lors des phases les plus énergiques que le groupe se révèle le plus efficace, au sommet de ses crescendos ; les étapes plus posées de ses compositions manquent encore d’un petit quelque chose, une tension, une anguille sous roche, le genre d’ambiguïté qui crée un lien avec le public, le captive, l’empêche de se déconcentrer, ne le lâche plus. Le concert n’en demeure pas moins une ouverture agréable.

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Mild High Club

De tension, justement, il n’en sera définitivement pas question dans la grande salle : les membres de Mild High Club dorment sur scène, et la seule explication au fait que leurs bras se meuvent encore pour actionner mollement leurs instruments réside à coup sûr dans les incroyables pouvoirs du somnambulisme.

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L’apathie surjouée des musiciens, soutenant un chant intarissable, sans relief mélodique ni conviction aucune, est un spectacle particulièrement fatigant, et qui regarde bien autour de lui peut voir, au-dessus de la tête de chacun des spectateurs, leurs dernières cellules vivantes quitter leur corps précipitamment, comme de pauvres marins abandonnant le navire abîmé. Nous les imitons : nous fuyons.

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The KVB

Un duo clavier / guitare prend le relais dans le club. L’inclusion dans l’univers de The KVB ne traîne pas : on baigne très rapidement dans cette ambiance lourde et tendue, où se mêlent ce que les machines peuvent envoyer de plus froid, de plus agressif, et ce que les instruments peuvent envoyer de plus sec. Même les voix ne parviennent aucunement à réchauffer le tout : le ton est monocorde, encore que pas tout à fait désespéré ; on dira plutôt pragmatique à l’extrême, « pas dupe », le moins dupe des types. Au final, c’est étonnamment de la boite à rythmes que proviendra à peu près la seule source de chaleur, et l’on s’y accroche comme des âmes en peine. Très en avant pour pousser à la danse sans qu’on puisse y réfléchir, en même temps qu’au centre de tout, elle semble vouloir nous rappeler que l’espoir, symbolisé par cette source de chaleur inattendue, se trouve enfoui en nous, dans nos cœurs ; ou une connerie de ce genre. On la trouve un peu niaise, mais on l’aime bien. Elle parvient quoi qu’il en soit à équilibrer l’aspect lancinant du tout par une injection d’énergie brute et contagieuse.

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En un certain sens, The KVB a parfaitement compris ce qu’il faut faire aujourd’hui pour fonctionner, tout est implacable : des fréquences basses qui viennent chatouiller nos entrailles ; une musique penchant largement du côté de la culture électronique, mais faisant mine d’équilibrer les choses en plaçant une guitare en fond sonore pour rassurer à la fois les rockers puristes qui ne s’y font toujours pas, et les détracteurs des Intelligences Artificielles ; un duo mixte au physique juvénile et avantageux pour alimenter en fantasmes tous les appétits sexuels. Le tout nous semble excessivement idéal, et l’on préfère se méfier. Le plaisir d’écoute est bien là, mais semble ne pouvoir exister qu’en l’instant-même. Lorsqu’un artiste donne exactement au public ce que celui-ci a envie d’entendre, envie de voir, c’est louche – lorsque le musicien prend des risques, il sort alors son auditoire de sa zone de confort à grands coups de pied, et pour l’écouter encore, l’auditoire prend des risques à son tour, c’est ce qui est véritablement excitant. On ne risque pas de devenir fou ou de perdre tous ses amis en écoutant The KVB, et c’est tout ce qui nous manque.

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King Gizzard and the Lizard Wizard

La grand-messe commence finalement : ceux pour qui tout le monde est venu, ceux qui expliquent les lettres blanches sur fond rouge, devant l’affiche du festival, « sold out ». Le premier constat est celui-là même : King Gizzard and the Lizard Wizard est désormais trop gros pour le Transbordeur. Les gradins débordent, la fosse explose, les spectateurs sont agressifs et défendent leur centimètre carré vital en montrant les dents, quand d’autres se hissent sur la pointe des pieds dans le couloir, espérant ainsi apercevoir le haut du coin gauche de la toile sur laquelle sont projetées, derrière le groupe, des images dont ils ne connaîtront rien : c’est un franc succès. L’ambiance sera électrique, des premières notes de "Rattlesnake", aux dernières de "The River".

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Mais : lorsque nous avions vu King Gizzard il y a neuf mois de ça, ces morceaux ouvraient et concluaient déjà la setlist. Trois albums (sur les cinq sortis l’an dernier) sont venus entre temps compléter la discographie du septet, et pourtant, rien ne semble avoir véritablement changé. Si le Transfer a eu la très méritante clarté d’esprit de laisser une heure et demie au groupe pour investir la scène, celui-ci ne profite pas de cette opportunité, rare en festival, de façon optimale. Le fait est que le show de King Gizzard est excessivement figé : la responsabilité est sans doute à attribuer autant à la vidéo, diffusée derrière eux en continu et tuant dans l’œuf tout éventuel éclair de spontanéité, qu’au rythme inhumain de composition, d’enregistrement, de tournée que s’est imposé le groupe.

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Ainsi, au vu de ces caractéristiques de base (déjà évitables), sans doute aurait-il été plus judicieux de mettre en avant la face garage-défrisant du répertoire : des morceaux qui tapent dur, droit au but, et bonsoir messieurs-dames. Au lieu de ça, ce sont les phases aéro-jazzy-prog qui gagnent en temps de jeu ; précisément le genre de phases qui ne trouveraient de l’intérêt que si le groupe se libérait parfaitement dessus, improvisait francement, prenait des risques ; ce que King Gizzard ne peut faire, en l’état. L’innovation n’a pas le vent en poupe, et les trois derniers albums de 2017 ne sont que succinctement représentés (deux titres).

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Nous sommes probablement les seuls, dans toute la salle, à faire la moue : le photographe idéaliste, le renfort critique éclairé, et l’auteur de ce torchon. En y ajoutant les sept musiciens (ce qui est, soit dit en passant, un peu dérangeant : les compositions sont d’un tel degré de fun qu’on s’attendrait tout de même à ce qu’ils aient l’air de s’amuser, au moins un peu), cela porte le nombre à 10, pour une salle de 1800 places (la capacité est sans doute très largement dépassée), c’est parfaitement raisonnable. Le public est unanimement conquis, a bien raison, et l’on entendra chanter « Rattlesnake » jusqu’à encore très tard dans la nuit du lendemain, très loin dans Lyon. La réussite de cette première soirée est d'ores et déjà sans conteste pour le Transfer Festival.

Dj Kemicalkem

Drahla ayant donc annulé sa venue, DJ Kemicalkem fait danser dans le club, en passant de sacré-bons disques (du Nick Cave, du Joy Division et tout). Il est cool. Le temps pour nous de passer à la buvette : la picole est chère comme dans une salle de concerts, mais les gens derrière le comptoir sont sympathiques, familiers, et ne se moquent qu’un peu lorsqu’on grille notre nationalité marseillaise en commandant un pastis. Dj Kemicalkem (vachement dur à écrire) finit son set, tout le monde gueule qu’il en veut encore, il indique poliment la grande salle où BRNS s’est installé.

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BRNS

Quatuor bruxellois, BRNS est envoyé au charbon après King Gizzard, une position pour le moins inconfortable. Le groupe commence son concert devant une salle à moitié vide, de nombreux spectateurs ont quitté le site une fois leur culte rendu aux divinités australiennes, d’autres laissent, dans l’espace fumeur, leur cigarette se consumer d’elle-même au coin de leur bouche, le regard dans le vide, encore étourdis d’admiration. La fosse ne cessera de s’emplir, cependant, puisque une évidence s’impose progressivement : BRNS envoie du bois.

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Le contraste avec le septet est criant : dans un genre opposé, une sorte de pop lyrique à explosions qui, autant le dire, ne part pas gagnante dans le cœur du présent rédacteur, les quatre musiciens donnent une leçon magistrale d’investissement, d’attitude, et d’interprétation. Loin de se réfugier derrière un sentimentalisme factice, le groupe parvient à imposer ses chansons à la seule gloire de ses tripes exposées au grand jour et balancées à la figure de qui prête l’oreille, à la seule force de ses émotions , d’une sincérité indiscutable et bouleversante.

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La prise de risque est là, et l’on ne parle pas uniquement de l’interlude / quatuor de mélodicas : un tel degré d’investissement, réellement, met en péril l’exécution technique des morceaux ; pourtant, là encore, c’est impeccable. Si le batteur-chanteur hyperactif impressionne et attire les regards, aucun des trois autres membres n’est en reste, et la cohérence de groupe qui émane de cette solidarité, de ce plaisir collectif visible, est parfaitement redoutable.

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Repus, nous quittons le Transbordeur pour aller voir Eric Lerouge jouer "Mort Aux Vaches" sur une péniche lyonnaise, entouré d'un batteur magique et d'un public prêt à envoyer la Passagère par le fond s'ils oublient un couplet.

Crédits photos : Thomas Sanna

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