Fat White Family – Serfs Up!

Le troisième album de Fat White Family est arrivé : après Champagne Holocaust, Songs For Our Mothers et toute une plâtrée de singles et splits vénéneux, Serf’s Up! vient prolonger la trajectoire unique du groupe « qui va sauver le rock » selon la communauté des journalistes à la formule paresseuse.

L’avantage de sortir une chronique à la bourre, c’est qu’on peut au moins observer l’accueil que la presse et le public ont réservé à l’album. Outre les éloges, et l’enthousiasme quasiment unanime, on note surtout avec une certaine lassitude une soumission totale à la version de l’histoire proposée par le groupe : ses membres perdus dans une consommation de drogue exceptionnellement perverse, Serfs Up! ne devait jamais voir le jour, l’existence de Fat White Family ayant été longtemps remise en question. C’est exactement ce que disent les communiqués : « vous pensiez qu’on ne reviendrait pas », et les journaux de répondre docilement « ah oui, c’est vrai, on pensait que vous ne reviendriez pas », se hâtant de se saisir avec gourmandise de cette pensée prémâchée qui leur permettait de prétendre avoir réfléchi à la question. Même si l’histoire est d’une certaine poésie, digne des légendes rock’n’roll que les fans des Stones se racontent au coin du feu, et qu’elle est sans doute honnête du côté du groupe, le retour des Londoniens ne peut pas être aussi surprenant lorsque l’on a le recul d’un observateur extérieur au groupe (sans doute est-ce là ce qui cloche : les auteurs médiocres se rêvent personnages).

Chacun de leur côté, les leaders se sont refait une santé dans des projets parallèles, reprenant visiblement des couleurs et un peu de pulpe sous la peau : Saul Adamczewski avec Insecure Men et Lias Saoudi avec The Moonlandingz ; ce dernier présentant méticuleusement cette collaboration avec Eccentronic Research Council comme une parenthèse, s’appuyant sur le fictif initial du groupe pour le cantonner fermement à son statut d’exception (même s'il évoque à présent la probabilité de leur retour). Parce que leur groupe, c’est Fat White Family, un espace qui leur permet déjà toutes les libertés artistiques comme chaque nouvel album le démontre, et que tant qu’il est en vie, le groupe l’est également. Les autres membres n’ont qu’une importance relative : même Saul, figure charismatique s’il en est, a pu prendre des congés plus ou moins longs sans perturber l’équilibre – frustrant tout de même les spectateurs attachés au personnage. Jack Everett le disait d’ailleurs il y a un an, après un concert où il tenait la batterie pour Warmduscher : on ne sait jamais trop si on fait partie de Fat White Family ou non. On ne l’a pas revu avec eux. Pendant ce temps, sur Facebook, Lias Saoudi a compté : le groupe a déjà vu passer trente-trois membres en son sein.

Serfs Up! a donc été conduit par trois tuteurs : Saul Adamczeswki, Lias Saoudi, et Nathan Saoudi. Ce dernier était plutôt effacé auparavant ; il est maintenant omniprésent, dans l’œuvre (ça a commencé avec le clip de "Feet", dont la distribution installait le trio dominant) comme dans la communication, où il offre un contrepoint pessimiste à la parole positive de son frère. C’est ce qui pourrait également être son influence sur le son du groupe. En effet, désormais, on imagine assez aisément ce qui est la part des différents protagonistes dans la composition : Lias, on l’a vu avec The Moonlandingz et même avec Decius, projet récent formé avec le boss du label responsable de la sortie de Champagne Holocaust, Trashmouth Records, est un interprète caméléon, et l’auteur de textes remarquables, fluides, généreux et  animés d’un sens particulièrement élégant de la provocation. La composition de Saul, comme démontré avec Insecure Men, est une porte ouverte à un onirisme langoureux, qu’on qualifierait presque, étonnamment, de solaire.

C’est donc là que pourrait se situer l’action de Nathan : pérenniser le malsain propre à Fat White Family en distillant de manière plus ou moins visible quelques lignes de synthé dissonant assombrissant la bonne humeur nouvelle et insolente de ses comparses. Le titre "I Believe In Something Better" pourrait illustrer cela : chanté par Saul, esthétiquement proche de ce qu’il proposait avec son projet parallèle, il est tout de même empreint d’une noirceur qui n’existait pas dans Insecure Men. L’instrumental, oscillant entre dansant et agressif, contredit un chant aux mélodies plutôt optimistes, derrière lequel s’empilent donc des sons mi-aériens mi-menaçants. La positivité revendiquée dans la communication du groupe n’a pas tout à fait pris le dessus.

Ainsi, si l’on lit partout que la sortie de cet album représente un changement de registre des plus inattendus, « le plus spectaculaire dans l’histoire récente du rock » selon les adeptes les plus chevronnés de la sentence extrémiste, on constate tout de même que le fond reste malsain comme il faut. "Feet", en ouverture, est d’une noirceur abyssale, une voix passive-agressive fascinante sur un fond instrumental de mélancolie apocalyptique et irrémédiable. "Oh Sebastian" est une ballade ironique, d’une beauté perverse, chiadée tout en prétendant ne pas l’être. Autant d’ironie dans "Rock Fishies" : tout y est brillamment élégant, mélodies et harmonies, les violons dramatiques à l’excès parviennent à être à la fois nullement crédibles, et profondément touchants ; quatre minutes de sublime, de délicatesse et de drame, débouchant sur un final tendu et virtuose qui ne saura être conclu autrement que par le biais d’une explosion brutale tuant la beauté pour de bon.

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Le choix des sons, également, sauvegarde le mauvais fond initial de l’esthétique du groupe : c’est là la véritable évolution du groupe, autrefois cramés par négligence, il sont dorénavant cramés par intention, un soin particulier est accordé à leur orchestration, leur disposition dans l’espace, la modélisation de leur texture, le tout dans une tradition semblant héritée de la culture électronique – ce qui peut autant avoir été ramené par Lias après sa collaboration avec Eccentronic Research Council, par Saul après ses expériences solitaires, que par le gain visible d’influence de Nathan apportant son expertise personnelle des architectures sonores. La volonté d’écrire des chansons à proprement parler semble donc laissée de côté au profit de ces constructions, c’est ce qui est mis en valeur en début d’album, avec des titres quelque peu linéaires enveloppant l’auditeur dans une ambiance précise : "Vagina Dentata" et son aspect vaporeux, "Kim’s Sunset" parfait pour picoler en fin d'après-midi sur la plage, sous les bombes.

Le mariage entre les cultures électriques et électroniques, qui est souvent remis d’actualité lorsque de nouvelles pistes sont mises au jour, est d’ailleurs ici parfaitement amené. "Bobby’s Boyfriend" est un blues plus ou moins classique, la saleté du son des guitares est très pure, et soutenu par une grosse caisse fascinante, anachronique et peu naturelle, à la fois douce et caverneuse. Les basses de "Fringe Runner" défient l’installation audio de l’auditeur, sonnent comme une membrane percée à la fin de la teuf, et en concert devraient ravir les fans de cachetons. Sans que cela ne soit forcément voulu, l’apport organique de l’humain, matérialisé par cette batterie entrant n’importe comment sur "I Believe In Something Better", fait face à la marche irrémédiable du progrès et de ses samples modernes et rigides. "When I Leave", dans le même ordre d’idées,  offre, en guise de final, une atmosphère merveilleuse, mettant en exergue la majesté de la guitare surfy, des chœurs mêlés de cyber-anges en ouh et d’humains-pécheurs en shabadabadam morriconesques, associés à un synthé 80’s présent sans prendre trop de place.

Ainsi Fat White Family a certes fait évoluer le son de ses compositions, mais n’en a pas orchestré un revirement total pour autant, comme les rédacteurs paresseux ont pu l’écrire en décalquant plus ou moins les communiqués de presse joints à l’album. On loue une volte-face inexistante : le grand écart exécuté entre Serfs Up! et Songs For Our Mothers n’est en fait pas plus impressionnant que celui existant entre ce dernier et Champagne Holocaust, il est la suite logique et cohérente d’une impulsion donnée en 2016, d’une promesse déjà excitante, mais qui ne fit pas réagir à l’époque. Il semble qu’il aurait en fait suffit de promettre, via dossier de presse, qu’on avait changé, qu’on ne prenait plus d’héroïne et qu’on était remplis de bonnes vibes pour attirer l’attention des grandes rédactions.

Peut-être celles-ci sont-elles trop habituées à ne se nourrir que d’une palanquée de groupes jouant tous la même chanson en boucle sur douze albums, les bras leur en tombent alors, les voilà réveillés en sursaut par des artistes intègres qui auront absurdement fini par faire vendre (car ces fripouilles représentent bien l’intégrité aujourd’hui sans que cela ne soit incompatible avec le fait qu’ils trônent fièrement en haut des charts anglais) proposant véritablement quelque chose, une réflexion sur eux-mêmes en même temps que sur le contexte musical contemporain. À des kilomètres des artistes avec lesquels on a pu les comparer paresseusement à l’occasion de papiers faiblards : Beck, Primal Scream, des modèles de compromission incapables de la moindre once d'auto-dérision, les Beach Boys, parce que ça fait le jeu de mot, T-Rex, parce qu’il y a le mot glam dans le mail du label, Blur, parce que Lias avait un poster dans sa chambre quand il était petit ou on ne sait trop quoi. Bon. Au moins, Fat White Family détonne, dans le sens où ils sont parmi les rares à ne pas rester un groupe de citation, d’autoréférence stérile, d’anecdotes pop-rock. Ils ont désormais accompli un autre exploit : celui de se faire couronner légitimement par la presse sans que celle-ci n’en soit moins complètement à côté de la plaque.

Sortie le 19 avril chez Domino Records
Crédits photo : Sarah Piantadosi

Fat White Family en concert :

30.05 Nîmes - This Is Not A Love Song
31.05 Strasbourg - Laiterie
13.06 Paris - Élysée Montmartre
14.06 Reims - Magnifique Society
12.07 Monts - Terres de Son
28.07 Aulnoye-Aymeries - Nuits Secrètes

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NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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