Theo Lawrence l’authentique

Une interview en format “carrière”, pour un artiste de de vingt-quatre ans, voilà qui peut surprendre… D’autant que notre franco canadien s’est fabriqué, seul avec sa guitare, son identité musicale via Internet. Sans oncle gratteux ou un mentor aficionado de musiques populaires américaines du siècle dernier. Humble malgré une connaissance encyclopédique dans le domaine, il importe surtout à Theo Lawrence d’être lui-même, même s’il admet pouvoir donner l’impression de faire dans l’exercice de style. Menant sa barque à travers ses multiples influences, sans rechercher le succès à tout prix, il possède une volonté de progresser digne d’un sportif de haut niveau et en a d’ailleurs le profil. Concentré, perfectionniste et difficile à distraire des objectifs qu’il se fixe. Mark Neill des Black Keys, chez qui il est allé enregistrer “Sauce Piquante” son second album, a du finir par s’en rendre compte… Encore en recherche de son identité musicale, mais avec déjà de sacrés beaux résultats dus à une rigueur et à une honnêteté tenaces, Theo Lawrence souhaite tendre vers encore plus d’épure. Pour notamment profiter encore plus de la scène, sur laquelle il est impressionnant de sérénité et de charisme.

LGR - Ta connaissance de la musique populaire américaine est impressionnante. Comme d’autres de ta génération, fais-tu partie de ces musiciens qui ont découvert leur "voie" grâce à YouTube ?

Theo Lawrence - J’ai passé beaucoup de temps sur YouTube lorsque j’étais collégien, pour compléter ce que j’allais chercher chez les disquaires ou que j’écoutais chez mes parents. C’était un moyen de découvrir des musiques en toute indépendance. Je lisais également la presse musicale, Rock and Folk, Guitar part… Et j’avais des potes qui écoutaient aussi les Stones, Hendrix ou Led Zeppelin.

LGR - La rencontre avec le blues, la soul ou la country s’est faite plus tard ?

T.L - Oui, après le lycée, en rencontrant des passionnés lors de concerts notamment. C’est d’ailleurs lors de concerts à Paris et à Bordeaux, que j’ai fait la connaissance des jeunes musiciens bordelais avec lequel je joue maintenant. On avait d’entrée le même langage, les mêmes références.

LGR - Dans le dossier de presse, il est indiqué qu'à huit ans, tu es "littéralement saisi" par “Elephant” des White Stripes… Sacrément précoce !

T.L - C’est sorti en 2006. Donc j’étais un peu plus “vieux” à cette époque, j’avais onze ans… C’était mon premier cruch pour un groupe “actuel”, car je m’intéressais déjà aux classiques et je commençais tout juste la guitare. 

LGR - Tu as à peine dépassé la vingtaine lorsque sort ton premier album Homemade lemonade et les singles antérieurs et ton E.P Sticky Icky avaient eux aussi reçu un très bon accueil critique. Comment as-tu vécu cette reconnaissance quasi immédiate ?

T.L - Je ne l’ai pas particulièrement ressenti à l’époque… Le plus important pour moi, est d’être fier de ce que je fais et de ne pas être un imposteur en faisant une musique faite uniquement pour plaire. Je suis d’ailleurs encore à la recherche de mon son. Les bons retours, c’est très positif, mais ce n’est pas mon moteur. Ce qui me fait vraiment plaisir, c’est d’atteindre l’objectif que je me suis fixé, de progresser.  

LGR - Signé chez BMG dès le premier album, booké chez Caramba… Comment as-tu abordé le virage du deuxième, sur lequel les jeunes artistes sont souvent attendus au tournant ?

T.L - Une partie de moi ne prêtait pas attention à cette pression et c’est d’ailleurs ce que j’essaie toujours de faire, quoiqu’il arrive. L’autre était consciente que le changement de style musical avec Sauce piquante était une vraie prise de risques. Cela pouvait induire de perdre une partie de ceux qui avaient apprécié mon premier album… mais aussi d’en gagner d’autres. Pour Homemade Lemonade, je me préoccupais plus du retour public et critique et de fait, je conscientisais plus la musique. Et je trouve que chercher à plaire à tout le monde peut finir par ne plus plaire à personne, voire à soi-même…

Theo Lawrence © Nevil Bernard
Photo © Nevil Bernard

LGR - Exit The Hearts pour Sauce Piquante… Tu avais besoin de renouveler les musiciens qui t'accompagnent pour "coller" au son que tu cherchais à obtenir ?

T.L - Oui et ça s’est fait assez naturellement. Nous nous apprêtions à aller enregistrer l’album en Georgie avec The Hearts, mais on n’avait pas tous les mêmes envies sur la direction à prendre. Et j’avais justement une idée bien précise ce que je souhaitais, d’autant que j’avais déjà rencontré les musiciens avec lequel je joue désormais. Jusqu’ici je faisais passer l’esprit de groupe afin que chacun y trouve son compte, ce qui ne donne pas forcément le résultat souhaité au final. Il faut parfois que ce soit un seul individu qui prenne les décisions… 

LGR - Tu ne crains pas d'être étiqueté, d'être enfermé dans une démarche d'hommage ou de devoir de mémoire ?

T.L - C’est évidemment une question délicate… Je n’apprécierais pas, bien sûr, être cantonné dans ce rôle, pas plus que je ne souhaite pas faire quelque chose de foncièrement original, ni obligatoirement “moderne”. Mon défi, c’est de rester moi-même et en faisant cela, d’être ancré dans mon époque. Tant mieux si ça colle, mais le plus important pour moi, c’est d’exprimer et de conserver sa personnalité. En revanche, c’est vrai qu’il me faut lutter contre toutes mes influences musicales, il y a parfois des embouteillages dans ma tête ! Ça n’aide pas forcément à se “trouver” musicalement, j’en suis conscient…

LGR - Tu dis effectivement être encore en “mode recherche”…

T.L. - Oui et si j’avais vécu dans les années cinquante ou soixante, avec beaucoup moins de sources à écouter, ça m’aurait plus facile de me “trouver” justement. J’adore les artistes qui changent de styles tout en ne perdant rien de ce qui fait leur personnalité, de ce qui fait que c’est eux que l’on entend avant tout, qu’ils soient seuls ou accompagnés d’un big band… J’ai conscience d’avoir du chemin à faire pour parvenir à ce niveau. J’en suis encore au stade de “digestion” de ce que j’écoute, mais petit à petit, en n’étant pas forcément là où on m’attend mais bien là où je souhaite aller, je pense pouvoir y parvenir.

LGR - Même si ce second album est effectivement différent du premier, on commence à reconnaître, au delà de ta voix, ta personnalité…

T.L - Tant mieux, car je n’ai pas encore le recul nécessaire pour m’en rendre compte… Parce qu’à l’écoute de Sauce Piquante, j’entends encore la volonté de suivre plusieurs voies à la fois, même elle transpire un peu moins que dans l’album précédent. Je ne suis pas parvenu autant que je le voulais, à limiter mon “éparpillement”, à n’avoir qu’une seule couleur, même si ça n’a rien à voir avec le fait de changer ou non de styles musicaux, mais bien de définir son propre son. Je commence malgré tout à reconnaître des motifs dans mes compos. Mais encore une fois, je n’ai pas envie de conscientiser, ni de noter ce qui fonctionne ou non. Mon but est de débarrasser progressivement de mes “couches” d’influences…

LGR - Un confrère a écrit à propos de Sauce Piquante que tu avais “pour partie réussi à produire ce gumbo épicé, mais que le reste de l’album est selon moi trop fidèle à ses références…”.

T.L. - Il est probable que si l’on faisait écouter “Sauce Piquante” à quelqu’un dans la rue, les titres qui lui paraitraient sortir du lot, ne seraient pas ceux que je retiendrais comme allant dans la démarche que je viens de décrire. “Judy doesn’t live here anymore”-  que j’aime beaucoup moi aussi - plait, alors qu’il est très respectueux des thèmes, du son de Nashville. “Adelita” qui peut apparaître de prime abord comme un morceau country, me parait plus personnel, de par ses mélanges de rythmiques et de mélodies.

LGR - “Adelita” fait effectivement penser à la reprise rock mariachi de “Hey Joe” par Willy de Deville, qui parvenait à être originale et respectueuse tout à la fois…

T.L - J’adore Willy De Ville, il était un peu comme moi à partir dans plusieurs directions sur un même album. Sur son premier album Cabretta notamment, où on sent qu’il aime à la fois  le rock n’roll et The Ronettes, le trio vocal produit par Phil Spector.

LGR - Sauce piquante a été produit en partie aux Etats Unis - par Mark Neill des Black Keys - et à Paris, au studio Delta à Belleville…

T.L. - Quelqu’un que j’admire beaucoup, qui est doté d’une personnalité, disons “robuste”… A l’origine, cela devait se dérouler uniquement en Georgie. Quinze titres y ont été enregistrés, et je n’en ai conserver finalement que dix. Nous avons refait “Petit coeur”, dont la première version m’avait paru loupée. Et en fait, dans ce studio parisien, un peu “libéré” de l’influence de Mark Neill - comme des gosses dans une cours de récré - on a repris des morceaux que nous avions laissé de côté là-bas et qu’on regrettait de ne pas jouer, comme “In the back on my mind” ou “Baby let’s go down to Bordeaux”. J’aurais préféré tout enregistrer en Georgie, pour la cohérence… Mais au final, ça a permit par exemple de reprendre la ballade “Lonely together” dans une version plus sobre, que celle faite aux Etats Unis qui ne me convenait pas.

LGR - Il y a toujours un beau parterre de filles au premier rang de tes concerts. Le qualificatif crooner était souvent évoqué pour ton premier album, beaucoup moins pour celui-ci…

T.L - Tant mieux, je me réjouis quand on m’oublie côté étiquettes. Et notamment celle-ci, qui a du venir de la touch soul de certains morceaux. J’écoutais sans doute plus particulièrement ce style lorsque je les ai écris et cela a du jouer…

LGR - Quelqu'un a écrit sur YouTube un commentaire à propos de “Worst in me” qui dit en substance que John Fogerty en serait fier…

T.L - Cette personne a bien saisi la référence, avec ce riff de guitare swamp pop, façon Creedence Clearwater Revival… Et les mélodies pop, les harmonies des voix font penser aux Everly Brothers.

LGR - L’ambiance de “Sauce piquante” est plus intimiste, tu vas poursuivre dans cette voie pour ton futur troisième album ou retourner à la veine soul blues du premier ?

T.L - Ecrire des ballades pour moi, c’est quelque chose de naturel. Peut-être parce que j’écris seul, à la guitare et de fait concentré sur le songwriting… A l’origine, la couleur dominante de “Sauce Piquante” devait être celle de “Petit coeur” ou de “Adelita”, mais ce côté swamp rock s’est retrouvé débordé par les ballades. Alors il m’est difficile de prévoir de ce qui va se produire pour le prochain. Avec un répertoire de ballades qui demande plus de concentration et également d’attention de la part du public, c’est plutôt compliqué. Sauf si tu as devant toi des gens très attentifs et ce n’est pas toujours le cas. La partie de moi qui aime se lâcher en concert, me glisse à l’oreille, mais pourquoi n’as-tu pas que des morceaux comme ceux que je viens de citer ou comme “Worst in me” ? Il me faudrait avoir trois quatre albums sous le coude, dont peut-être certains consacrés à des ballades, mais avec suffisamment de morceaux pour me permettre de m’amuser plus sur scène.

Theo Lawrence - La Maroquinerie 28 01

S’il continue à ce rythme, Theo Lawrence l’aura bien vite son répertoire qui lui permettra d’encore plus profiter de la scène ! En attendant, il est en tournée ; le 15 janvier aux abattoirs à Cognac, le 23 au Fil Smac à Saint-Etienne, le 29 au Tétris et il aura rempli la veille à Paris la Maroquinerie. Consultez sa page Facebook pour les dates des mois suivants.

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