Triinu – Envy


Deux ans et demi après son premier effort (Across The Water), Triinu, sans doute un des meilleurs espoirs du rock francilien, revient auréolée d’un nouvel EP protéiforme, qui ajoute aux tendances blues et folk de sa musique les couleurs noise, indé et pop alternative pour un résultat aussi inattendu qu’admirable.

Lors d’une soirée de festival - je fais coucou au passage à Sébastien de More Than Folk - j’avais présenté Triinu comme l’enfant illégitime de Sonic Youth et de Bjork. C’était bien sûr un résumé très réducteur de ce que la chanteuse franco-estonienne propose vraiment, mais j’avais été troublé par ce mélange d’expérimentations bruitistes et de voix venue du froid qui étend ses syllabes anglaises jusqu’à en faire une formule magique où les paroles deviennent bien plus que des mots ou des histoires. Il faut avouer que Triinu fait passer ses chansons dans une autre dimension que celle à laquelle on est habitué : une sorte de révélation pudique, de dévoilement de l’artiste derrière des rideaux rouges à la Twin Peaks. C’est à la fois malicieux et envoûtant.
 

Triinu, Envy


Mais parlons de cet EP, qui tombe à temps pour éviter de considérer 2020 comme une année intégralement foireuse. Six titres dont un remix et deux singles qu’on a déjà pu savourer : “Envy” et “Overtime”. Ce sont deux pépites d’arpèges nerveux et de fuzz puissantes, de violons grinçants et assassins - qui n’auraient pas démérité dans dEUS - et de lamentations poignantes en combat rapproché avec une production sonore impeccable. Leurs balancements mid-tempo ravageurs et leurs mélodies tordues auront raison de tout amateur de Laetitia Sheriff ou de la bande de Thurston Moore. Ces deux morceaux, déjà fabuleusement clippés, font le coeur de Envy, qui s’ouvre cependant sur "Drifting", morceau plus confidentiel. Cette entrée en la matière de six minutes ne cesse de monter en intensité, accompagnée par toutes les cordes possibles (violon, guitares acoustiques et électriques) et sans la moindre batterie, avec comme point d’orgue des extraits d’un poème de Lydia Koidula, une compatriote baltique du XIXème siècle que Triinu adapte sans difficulté à sa pop expérimentale en clair-obscur.


Le voyage continue avec “Illusion”, une embardée noisy multicolore qui passe du larsen radical à la complainte électrique pour finir sur une immense vague de bruits synthétiques. Difficile de ne pas toujours penser à l’icône islandaise sus-mentionnée, mais je préfèrerai évoquer les danois de Under Byen pour l’aspect baroque qui s’infiltre dans la moindre brèche de cet EP. Pour autant, jamais la musique de Triinu ne regarde en arrière : on sent à peine des relents de garage-rock des 90s mais tourné vers l’avenir et la composition d’une véritable bande originale onirique en direct. Impression confirmée avec “Time Is Trouble”, morceau de bravoure de sept minutes qui alterne basses Radioheadiennes et nappes cinématographiques aux relents John Carpenter. L’affaire devient complètement héroïque et orchestrale dans la deuxième moitié de la chanson, qui trahit un sens de la composition de très haute volée forçant le respect. Les voix s’entremêlent dans une litanie qui embarque l’auditeur autant au ciel qu’en enfer. Une réussite absolue.

Envy est le fruit d’un univers solide et patiemment construit, dont les moindres recoins ont été ciselés. Triinu dépasse amplement du cadre rock tout en lui insufflant une fraîcheur salvatrice. A la fois indie et plus que ça, cet EP est la meilleure porte de sortie de 2020.

Sortie le 16 décembre 2020 en autoproduction.
 

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NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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