#MUSICTOO : Notre réaction aux affaires

L’an dernier, les accusations d’agressions sexuelles et de viol à l’encontre de Julien Hohl, patron du label Deaf Rock (dont de nombreux groupes dont Last Train et Dirty Deep ont en réaction quitté le label) sont venus secouer la scène rock indé française. Peu de temps avant, le mouvement #MusicTooFrance avait été lancé pour recueillir des témoignages d’agressions, harcèlements, suivi par des enquêtes détaillées de Mediapart, de Neon Mag, ou encore Mediacités, au sujet de pas moins de 277 témoignages recueillis en quelques mois. Oui, 277. Et il en arrive encore. Et récemment, une dizaine d’antennes #MusicToo se sont créées pour prendre le relais en région sous le nom de #BalanceTaScène.

RAPPEL DES FAITS

Parmi les articles sortis, vous pourrez en trouver à propos du label Because Music, l’agence artistique Ginger Sounds, le parolier Yohann Malory, Gautier R. du groupe Boy Racer, mais aussi plus proche de notre milieu, une enquête aux multiples victimes de Michael G. de la boîte de booking Jerkov Musique (It It Anita, I Me Mine, et d'autres qui ont quitté la structure depuis comme Lysistrata et Slift) et plus tard, le nom de Matthieu M. ex-Jerkov est aussi tombé (ex-Psykup depuis quelques jours, My Own Private Alaska…). Est venue ensuite l’affaire Rage Tour à propos de son tourneur K. qui a ébranlé le milieu Metal. Et encore une autre au sujet des agissements chez Guerilla Asso (Guerilla Poubelle). Et nous pourrions citer aussi James du groupe Salut c’est cool ou Jonathan M., tour manager d’Alcest, Mass Hysteria, Perturbator, dont certains se sont séparés de lui sur le champ. Toujours et encore des faits de violences sexuelles et de harcèlement. Ce sont des problèmes systémiques que nous ne saurions ignorer.

A La Grosse Radio, nous avons accusé le coup, pris le temps de réfléchir, nous nous sommes posés des questions et avons discuté entre nous et avec nos amis. Voici ce qu’il en ressort. Ce texte n’est pas un rappel des faits (voir l’article récap’ complet de Metalorgie) mais un billet d’humeur écrit à plusieurs mains de membres des rédactions Rock et Metal.

 

POURQUOI NOTRE ARTICLE

On a tous des souvenirs de nos premiers concerts. Ces moments magiques où, pour la première fois, nous allions enfin pouvoir rencontrer nos artistes favoris après avoir saigné notre lecteur vinyle/cassette/cd/mp3/service de streaming. La présentation de nos tickets, le cœur qui s'emballe, l'entrée dans la salle, la lumière tamisée, puis le noir complet… Avant un déluge sonore et visuel qui nous transporte dans un autre monde, magique et insouciant où on ne voudrait que le show ne s'arrête jamais. Où nos artistes que l'on admire sont tous les modèles qui nous animent.

Et pourtant. Pourtant la réalité est tout autre. Et des années après avoir écumé les salles de concert, après avoir vu un nombre incalculable d'artistes de tous les genres, de toutes les nationalités et de tous les milieux, force est de constater que cette image si reluisante, si parfaite que nous nous imaginons, n'est en réalité qu'un pâle mirage. La réalité, elle, peut être tout autre : la réalité, ce sont aussi des agressions, ce sont aussi des harcèlements, ce sont aussi des viols. Et le plus grave dans tout cela ? C’est que l’on sait. On sait que ces faits sont avérés, et pourtant on détourne le regard, on cherche des issues de secours, des justifications. Car “Non mais tu comprends pas, je le connais depuis dix ans ça ne lui ressemble pas”, ou bien “Il était sûrement bourré car jamais il n’a été comme ça avec moi”.

Il est grave qu'en 2021, une femme se sente encore en danger, méfiante, se fasse lourdement draguer ou se retrouve parfois même dans des situations pires que ce soit dans un concert ou dans un festival. Il est grave qu'elle doive faire attention à son verre, sa tenue, si elle est accompagnée ou seule et à où est-ce qu'elle va. N'est-il pas supposé s'agir d'un moment de plaisir autour de la musique ? Pourtant c'est ce qui ne cesse de se reproduire malgré la dénonciation de certains actes encore trop pris à la légère. Ces actes sont mis de côté autant par les autorités compétentes que par le monde de la musique.

Aujourd'hui, plus que jamais, nous sommes tristes. Tristes de voir cette scène telle qu'elle est vraiment, mais surtout en colère, en colère face à ce que nous apprenons tous les jours. En colère face à ces agissements qui durent depuis des années dans l'ombre. Face à ces faits qui trop souvent restent sans conséquences.

 

PRÉVENTION EN FESTIVALS

Lieux de rassemblement, voire de pèlerinage entre passionnés d’une même scène, les festivals ne sont pas épargnés, loin de là. Nous avons tous en mémoire cette communication pour le moins maladroite du Hellfest il y a deux ans suite au témoignage de viol d’une festivalière. Mais si ce cas a beaucoup fait parler de lui de par la taille du festival et la réaction sans empathie de son responsable communication, il est loin d’être le seul, et les victimes se trouvent aussi dans les rangs des organisations, des groupes ou des bénévoles. Que la victime et/ou l’agresseur soit spectateur et/ou acteur, la gravité de l’acte reste la même. Quelles positions les festivals, salles de concerts, associations, groupes et autres organismes de la scène doivent-ils avoir face à ce genre d’actes? Quelles solutions peuvent être apportées pour créer un environnement sûr pour tous? Nous sommes toutes et tous concernés et personne n’est au-dessus de la loi.

Même si le respect d’autrui est d’un bon sens implacable, certains comportements ont malheureusement encore la peau dure dans notre société. L’éducation et la prévention à tous les niveaux sont évidemment nécessaires et incontournables, mais on attend également des grandes structures que sont les festivals de prendre systématiquement position contre ces agissements qui pourrissent l’expérience et la vie de celles et ceux qui en sont les victimes. Et le faire, sans dénigrer la victime, nier sa parole, relativiser les agressions relatées ou pire, faire pression sur elle pour tenter de couvrir l’affaire. Sans nier que le problème existe réellement et qu’il est bien présent dans la “grande famille” du Metal. Ne pas prendre position, rester dans le déni, c’est laisser un terreau fertile pour les agresseurs en puissance, et c’est inacceptable.

Suite aux révélations de Mediapart et aux éléments apportés par cette enquête, les mentalités semblent commencer à évoluer. De la part de certains groupes déjà, qui ont choisi d’annuler leur participation à des festivals qu’ils estiment ne pas être en harmonie avec leurs valeurs, comme Krav Boca et Stinky qui se sont successivement retirés de la prochaine édition de l’Xtreme Fest. Ou encore le festival Les Lunatiques qui, au travers d’un communiqué, a demandé à un groupe à l’affiche de remplacer un de ces membres accusé d’harcèlement, de misogynie par son binôme. Qu’ils soient compris ou non, ces choix restent forts dans ce contexte, et marquent un tournant dans la scène metal.

De la part de certaines organisations du milieu enfin : dans une interview récente, le responsable de la communication du Hellfest reconnaît que la situation avait été très mal gérée il y a deux ans, et que si de tels faits venaient à se reproduire pour la prochaine édition, la communication du festival serait très différente. Notons surtout que ce n’est pas un problème de réputation, ni de communicants. La seule solution n’est que dans un changement de comportements, et que la peur puisse changer de camp.

Dans un autre registre, l’organisation du Motocultor a annoncé s’être séparée d’un responsable bénévole, un certain Dr B., agresseur sexuel mis en cause dans une accusation de viol au Xtreme Fest en 2017, et ayant été reconnu par sa victime dans l’équipe des bénévoles du Motocultor en 2018. Alors que l'organisation le savait, l’individu avait été reconduit en 2019. Est-ce que tout cela indique que les choses sont vraiment en train de changer ? La prise de conscience semble au moins là, mais cela montre surtout que l’on part de loin. Jusqu’à présent, on se contentait de placarder des affiches contre le harcèlement sexuel dans les lieux. Aujourd’hui, des formations pour sensibiliser sur ce sujet sont dispensées dans tous les milieux professionnels. Personne ne peut l’ignorer. On demande des actes et des prises de position claires et sans ambiguïtés.

Mais ce n’est certainement pas comme l’a fait l’Xtreme Fest cette année que l’on pourra se sentir en sécurité et écouté en festival. En effet, le stand de “prévention” était le stand de merch d’une équipe de roller derby, équipe elle-même formée deux jours à ce sujet, avec pour indication “prévention” inscrit à la main au marqueur sur un panneau en carton au fond du stand et en haut sur le devant des affiches composées pour les 4/5 d’un slogan “Just don’t do it” s’adressant donc aux potentiels agresseurs et enfin le cinquième restant, quasi illisible donc : “Viens en parler au stand des Bloody Patchol, un espace confidentiel est à ta disposition”, “Laisse un mot dans la boîte disponible sur le stand” et enfin un numéro de téléphone d’urgence… Et cerise sur ce gâteau d’incompétence, on pouvait trouver l’équipe dans le public grâce à leurs serre-têtes lumineux en forme d’oreilles de chattes, on croit rêver... La réduction des risques est un métier, pour lequel il faut une formation solide. Des associations compétentes existent, prêtes à venir prêter main-forte aux organisateurs de festivals. Les violences sexistes et sexuelles ne sont pas à prendre à la légère.

Le stand "Prévention"/merch de l'Xtreme Fest 2021... voir le petit panneau au fond à droite (photo de gauche).

TOUJOURS DU CÔTÉ DES VICTIMES

La scène musicale est à l’image de la vie de tous les jours, parfois sublime, souvent banale et régulièrement horrible. Depuis un an, #musictoo tente de faire changer de camp la peur. Depuis un an, des centaines de témoignages sont arrivés à l’équipe de #musictoo, qui a écouté, traité, relayé à des journalistes pour enquêter, recouper, interroger, soit un travail de fond immense et surtout nécessaire. Nécessaire déjà pour les victimes, qu’on croit de toutes nos forces, atterrés par tant d'atrocités, et solidaires d’elles pour leur reconstruction. Témoigner n’est pas une mince affaire. On le fait quand on le peut. Cela peut prendre des années, mais c’est aussi libérateur pour d’autres victimes des violeurs, harceleurs, agresseurs.

Rappelons pour les sceptiques, pour ceux qui préfèrent la facilité et la défense de la réputation des puissants plutôt que de l’intégrité des victimes, que dans un ensemble de témoignages, seulement environ 2% se révèlent faux. A La Grosse Radio, nous préférons croire 100% de personnes qui osent témoigner plutôt que de fermer les yeux, se détourner de l’horreur et continuer à prendre du plaisir en concert sans se poser de questions.

Nous ne serons pas de ceux qui protègent les agresseurs ou minimisent leurs actes car ils aiment leurs groupes. Nous ne séparons pas l’homme de l’artiste. Par ses textes, par ses positionnements, et par ses manières d’agir et de communiquer avec son public, l’artiste tient un rôle social important, souvent même de modèle. L’homme derrière l’artiste est tout aussi important. Et les deux parties sont indissociables. Lorsqu’un artiste en protège un autre en se cachant derrière la fameuse et fumeuse formule “not all men”, cela valide des comportements qui doivent pourtant cesser auprès de leur public. Cela maintient la culture du viol. Les hommes ne forment pas une communauté homogène, ceux qui se sentent menacés car un des leurs est accusé ne comprennent pas le problème systémique patriarcal et la culture du viol. S’ils n’ont rien à se reprocher, pourquoi sortir l'étendard “not all men” ? Non, il faut réprimer d’une seule voix les violences sexistes et sexuelles. Ne protégeons pas nos pareils s’ils n’ont pas à l’être. Et si l’on réprouve, ce doit être avec vigueur et pas seulement en façade, pour le paraître et la réputation. Notre clarté sera notre soutien aux victimes.

 

QUELLES RÉACTIONS EN TANT QUE MÉDIA ?

Le propre d’un média musical est de donner son avis sur telle ou telle production, tel album, ou telle prestation scénique. Les lecteurs et auditeurs qui lui font confiance peuvent se faire guider, découvrir des projets qui ne seraient pas arrivés jusqu’à eux. Critiquer l’autre, même de manière respectueuse et constructive n’est pas chose aisée tant qu’on ne se laisse pas aller au bashing tendance #putaclic sans scrupule. Mais qu’en est-il lorsqu’il s’agit de faire une sorte d’introspection sur l’univers dont on fait partie ? Les cartouches d’encre se tarissent, les grandes gueules chuchotent, les yeux les plus inquisiteurs habituellement détournent leurs regards. Peur de se fâcher avec des collaborateurs, partenaires, confrères ou potes ? Craintes de représailles ou de ne plus bénéficier de certains bons plans médiatiques ?

Il y a, selon nous, à La Grosse Radio des causes prioritaires, urgentes et salutaires à défendre, “quoi qu’il en coûte” comme dirait l’autre. Historiquement, La Grosse Radio a toujours soutenu les causes de défense des femmes et sera encore du côté de celles qui ont à souffrir de ces comportements abjects, machos et lâches, de certains mecs à qui le semblant de pouvoir ou de statut donnent l’illusion qu’ils sont intouchables et pas dénoncés par les leurs. Faire le ménage chez nous, autant que l’on souhaite que les brebis galeuses et violentes de la police soient écartées, que celui qui vole ou viole sa propre famille soit jugé, que celui qui trahit sa propre cause soit écarté. Les scènes rock et metal, comme toutes les autres, sont belles et riches de leurs artistes, de leurs manifestations scéniques, de leurs productions. Ne les laissons pas être salies et se renier d’avantages à cause de quelques frustrés qui nous trouveront sur leur route, toujours.

Faire le ménage chez nous, cela passe aussi par se remettre en question en tant que média. Quelle place accorder à ces affaires, comment traiter les personnes accusées d’agression sexuelles ? L’idée n’est surtout pas de pénaliser des festivals ou des artistes, mais doit-on parler d'un groupe associé à une structure accusée de délits ou de crimes ? Doit-on parler de festivals qui programment des artistes accusés et ou condamnés ? Est-ce qu'au contraire cesser d’en parler ne serait pas se prendre pour des juges alors que nous n'en sommes pas ? Nous ne prétendons pas détenir la vérité aujourd’hui, et ne voulons pas sombrer dans la censure, mais nous avons conscience de devoir réfléchir au sujet pour faire évoluer nos pratiques.

 

EN CONCLUSION

Nous ne saurons cautionner ne serait-ce qu’un comportement digne d’un “boys club” de la part de musiciens, tourneurs, managers, techniciens ou de qui que ce soit de notre milieu, au contraire, nous condamnons vertement ici tous agissements répréhensibles, indignes et mettant en péril la personne humaine. Nous invitons à une conduite respectueuse envers quiconque pour faire de notre milieu et des concerts des espaces où tout le monde pourra se sentir en sécurité. Les agissements horribles décrits par Mediapart sont intolérables. Nous ne détournons pas le regard, nous confrontons, nous réfléchissons aux conséquences et à la suite de notre activité envers les groupes et nous resterons vigilants si de nouvelles affaires sont dévoilées. Nous sommes prêts à ne plus suivre les activités de ces personnes aux agissements condamnables.

La musique conduit nos vies, elle nous entoure, elle apaise nos peines et accompagne nos joies. Les violences sexuelles détruisent les vies des victimes et salissent aussi le milieu musical dans son entièreté. Nous n’acceptons pas. L’omerta s’est arrêtée, les victimes parlent, la parole se libère pour qu’une nouvelle ère s’ouvre. Respectons les victimes et leur parole, saluons leur courage. Ne les laissons pas être dénigrées, silenciées, par ceux qui craignent surtout pour leur réputation et leur pouvoir. Une bonne réputation s’acquiert et s’entretient sur le long terme par une pratique et des actions irréprochables, mais elle se perd en un jour, par ses propres fautes, et surtout pas à cause des victimes.

Par Aude D., Félix, Mallis, Sana, Valérian, Xavier et Yann Landry

#MUSICTOO Réaction de La Grosse Radio aux affaires rock et metal

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